J’attendais avec une impatience fébrile la sortie du nouveau livre de Chloé Delaume, un sentiment d’anticipation intense qui a évolué en des sentiments contrastés suite à ma lecture. Cette dernière m’a fait éprouver un mélange d’enthousiasme et de déception que je vais tenter de vous partager.
Le personnage central n’est autre que Clotilde. La pauvre folle qui n’aime ni les enfants ni les hommes, ni le réel, Clotilde « flotte en société comme l’ombre d’un astre mort », elle vit seule dans son petit appartement parisien avec son chat siamois Citrouille. Et puis ses petites pilules car Clotilde souffre de bi-polarité. Elle oscille entre extase exténuante et abattement profond. Clotilde est aujourd’hui une femme déboussolée et perdue dans un train qui, de gare en gare, l’emmène à la fin du monde… Elle doit régler son histoire de coeur avec Guillaume, homosexuel, une histoire toxique qui l’a probablement rendue folle et qui la ronge depuis des années. Elle plonge dans le puits sans fond de sa mémoire pour tirer à la surface les cicatrices qui l’habitent. Elle fait appel aux souvenirs d’une enfance meurtrie et retrace méthodiquement l’origine de sa bi-polarité, marquée par le féminicide tragique de sa mère quand elle avait dix ans. Depuis, elle déteste les géraniums rouge sang qui pullulaient le quartier de sa tante. Le thème omniprésent de la santé mentale est un fil conducteur récurrent dans les livres de Chloé Delaume (comme son enfance fracturée dans « Le cri du sablier » et ses pulsions suicidaires dans « Eden matin midi et soir« ). Sous le couvert d’un pamphlet sociologique, médical ou même féministe, l’auteure dissèque le psyché complexe de Clotilde.
La première partie du livre, centrée sur les troubles mentaux déchirants de Clotilde, m’a indubitablement captivée. Beaucoup de passages ont résonné en moi dont notamment celui-ci :
« Accepter que le cerveau ne s’en sorte pas tout seul, bien sûr que c’est vexant. Mais Clotilde préfère une ingérence chimique plutôt que d’avoir tout le temps envie de mourir. Elle n’a jamais compris la vanité de ceux pour qui suivre un traitement relève de la faiblesse, qui voient comme une défaite l’apaisement de leurs souffrances. Si ce n’est qu’ils refusent de se regarder en face, s’emmitouflant de déni de crainte de voir leur reflet vêtu d’une camisole. La terreur est si grande face à l’idée de folie. »
Cependant, la suite m’a plongée dans une perplexité croissante. L’auteure semble se perdre dans un enchevêtrement confus de sujets variés (le célibat, la sonorité, les mouvements metoo et LGTB, l’homosexualité, la prostitution, l’amour toxique,…), tout cela grouillant anarchiquement sans suivre une trame littéraire cohérente. Le Petit Robert est souvent mis à contribution pour contrer l’absurdité selon l’auteure de notre société.
« Oui, la douleur se dompte sans jamais disparaître, vu que la résilience il serait temps de l’admettre, c’est rien que des conneries. Petit Robert rappelle : « Résilience. n. f. Capacité à surmonter les chocs traumatiques ». Ça arrange bien tout le monde, cette histoire de résilience, on peut broyer les êtres puisqu’ils s’en remettent toujours.«
Clotilde dans le train cherche désespérément à guérir de son addiction pour Guillaume qui refuse d’abandonner son partenaire actuel et se complait dans une relation principalement d’échanges épistolaires pseudo-romantiques autour de Ma Reine et du Monstre. Ensemble ils s’écrivent des mails enflammés où brulent la poésie ce qui touche profondément Clotilde qui ne doit sa survie qu’à la poésie.
J’aurais souhaité que cette histoire soit racontée plus directement, qu’elle soit plus concrète et tangible plutôt qu’être dispersée au gré des vents imprévisibles.
L’auteure se disperse à mon sens à tous vents au fil des pages. La vie détaillée de Clotilde semble perdre toute connexion avec sa maladie au fil des pages. Le côté médical disparait pour faire apparaitre une héroïne sexiste, qui juge, qui broie, qui un jour déteste les hommes pour ensuite tomber raide dingue d’un homosexuel.
Malgré ces réserves, j’ai retrouvé la plume audacieuse et provocatrice typique de Chloé Delaume qui manie les mots comme des armes et joue avec les codes traditionnels du genre littéraire avec une facilité déconcertante. Sa prose audacieuse résonne contre les murs; elle fait couler le sang des mots sur le papier; elle balance entre réalisme cru et beauté sordide; elle assombrit tout sur son passage. Certains passages offriront un certain réconfort à ceux qui souffrent de pathologies mentales tandis que d’autres défieront les conservateurs puritains un peu trop frileux.
« À user ses souvenirs on ne peut pas être vivant : le cimetière des amours mortes est son seul horizon, dans sa cage thoracique s’épuise son cœur zombie. »
Même si c’est inexorablement noir, cette prose me plait, me parle et résonne.
C’est toujours délicat d’évaluer un nouveau livre d’un auteur particulièrement adoré. Je suis attristée d’avoir été légèrement déçue par ce livre dont le résumé était si prometteur. Avez-vous déjà connu cette déception face à un nouvel ouvrage d’un écrivain que vous admirez?