La Coccinelle des livres

Née en 1973, Chloé Delaume est une écrivaine française née d’une mère française et d’un père libanais. Ses romans sont largement autobiographiques centrés principalement sur son mal-être depuis petite.

Découverte avec Le coeur synthétique qui m’avait jadis bien fait rire, j’ai découvert ses autres romans beaucoup plus sombres tels que Le cri du sablier, Eden, matin, midi et soir et Dans ma maison sous terre.

Son blog est tout à fait passionnant, je vous le recommande si vous désirez partir à la découverte de ses livres: https://chloedelaume.net/

Extrait

Première page

source: https:/chloedelaume.net

 

 

Hier soir, j’ai voté la mort. Je me suis longuement concertée et dedans on était d’accord, toutes d’accord, pour une fois. La mort et qu’on n’en parle plus. Qu’on ne parle plus de moi et qu’on ne parle plus tout court. Je n’en peux plus que ça parle autant à l’intérieur, ça charrie des migraines, ça ne s’arrête jamais, sauf pendant mon sommeil, tout du moins je présume. Il est possible que ce soit pire, je n’ai jamais pu vérifier.

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Je n’aime pas tellement dormir, c’est à cause des cauchemars, je les connais par cœur, il n’y a jamais de surprise. Les mêmes murs, les mêmes ombres, les mouches qui font des grappes à noircir le papier peint. Mon cœur qui ne bat plus mais qui repose quand même dans ma cage thoracique, lourd, mon cœur, tellement lourd, boule de viande avariée. Je finis toujours face au miroir en train de me décomposer.

Laide, tu es je suis laide en charogne. La chair est dépravée, déliquescence sillons. L’œil droit pend, le nerf frotte. Un nouvel angle de vue, plus bas, toujours plus bas. Il y a toujours du vrai aux reflets déformants.

J’ai des cachets pour me faire taire, ça n’a jamais rien résolu. Quand je ne m’entends pas, je ne jouis pas du silence, je me retrouve toute seule, je ne sais plus quoi faire, je ne suis pas faite pour faire, si ça se trouve ça arrive. Il y a des gens pour faire et d’autres faits pour rien. Je dois être de ceux-là. Modelée antimatière.

Vide, tu es je suis vide. L’esprit en appel d’air, organes fantoches et cœur aride. Une âme stérile, une voix de pierre. Des cailloux plein la bouche, des crachats de silex. Mais aucune étincelle n’affleure aux commissures, aucune, jamais.

Le moindre geste j’ignore lequel, lequel effectuer et comment. La spontanéité : une donnée étrangère, parfaitement étrangère, toujours des pourparlers et ensuite j’exécute. Ma voix est collégiale, elle éclot par ma bouche. Parfois je réalise que je ne suis que le corps, le corps d’Adèle Trousseau, 28 ans, 48 kilos. Peut-être sa conscience aussi. Une conscience fragmentée, mais sa conscience quand même. Qui à chaque seconde recense tous ses choix en autant de possibles qui s’expriment et s’incarnent et se démultiplient.

Pesante, tu es je suis pesante. C’est à peine si je peux encore me déplacer. Alourdie d’un néant qui me colle aux muqueuses, c’est à peine si je peux moi-même me supporter. Tu geins non je ne geins pas, je réfléchis. Tu geins tu ne sais faire que ça ne nous énervons pas ce n’est pas le moment de se laisser aller.

Citation tirée du livre

Le cri du sablier (prix décembre 2010)

Maman se meurt première personne.
Elle disait malaxer malaxer la farine avec trois œufs dedans et un yaourt nature. Papa l’a tuée deuxième personne.
Infinitif et radical.
Chloé se tait troisième personne.
Elle ne parlera plus qu’au futur antérieur.
Car quand s’exécuta enfin le parricide il fut trop imparfait pour ne pas la marquer.

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