La Coccinelle des livres

Reste

Livre écrit par : Adeline Dieudonné Maison d’édition : Iconoclaste Nombre de pages : 277
Chronique créée le 20/05/2023 16 commentaires
Reste Adeline Dieudonné Edition L'Iconoclaste

4è de couverture


Je ne suis pas certaine d’avoir pleinement saisi ce qui m’est arrivé, ni ce qui m’a conduite à agir comme je l’ai fait. Certains matins, tout me semble limpide. À d’autres moments, je me vois comme un monstre, une créature que je ne reconnais pas, qui m’aurait possédée dans un instant de vulnérabilité. Mais je crois que cette image vient du regard des autres.
J’ai fait ce que je pouvais.
Il n’y a pas de morale à cette histoire. Tout ce que je sais, c’est que je vous dois les faits. Je vais donc m’attacher à les relater pour vous, et sans doute aussi pour moi, avec toute la précision dont je suis capable. Ils m’emmèneront sur des territoires obscurs, dans les marécages de ma conscience et, pour quelques secondes encore, contre la peau de M. « 

Chronique 

Dans un chalet au bord d’un lac, la narratrice et son amant (M) se retrouvent en secret, l’amant subit une crise cardiaque et laisse sa maitresse au bord de l’effroi. Cette dernière, sous le choc, ne veut pas quitter son défunt amant, elle l’emmène avec elle dans sa voiture au bord de l’implosion tout en clandestinité. Elle écrit une lettre à son épouse pour expliquer son choix, pour expliquer son amour infini pour M. Recèle de cadavre, la narratrice nous décrit son parcours amoureux auprès de cet homme marié. Leur coup de foudre, l’évidence de cette relation adultérine. L’héroïne, mère d’une petite fille de sa précédente relation, tombe sous le charme de ce quarantenaire. Elle quitte tout et se lance à corps perdu dans une relation sans promesse, sans lendemains définis. Elle accepte l’amour et la tendresse que son amant ressent pour son épouse, elle explique son besoin de solitude, son refus de subordination dans une relation où tout le monde se mélange, une relation comme madame et monsieur tout le monde, elle accepte le manque, l’absence. Cela devient sa raison de vivre. Elle attend son amant. A son décès, l’héroïne perd toute raison et M, mort devient une obsession.

 

« La conscience de sa mort a laissé la place à autre chose, une chute infinie. Sans M, le monde n’est plus le monde. Les années qu’il me reste à marcher sur cette planète seront fades, trouées, peuplées de son absence. Il n’y aura plus personne à aimer. »

 

Adeline Dieudonné nous livre ici un roman épatant sur les lignes d’une histoire d’amour hors norme, où l’amour ne se commande pas, où les choix semblent impossibles. Peut-on aimer deux femmes en même temps? Peut-on se satisfaire d’une histoire à mi temps? Roman à la fois sociologique et psychologique, Reste marque les esprits torturés. Les scènes en huit clos s’impriment et ne s’oublient pas. On frissonne devant cette double décomposition, autant du mort que de cette femme qui ne peut se résoudre à quitter son amant, à le rendre à son épouse. Des flashs musicaux accompagnent ces jours d’angoisse, d’amour impossible. Des passages par dizaine résonnent, cognent, nous font arrêter la lecture pour en savourer toute la puissance narrative et introspective.

 

« C’était comme ça que nous définissions notre lien, nous en avions fait une sorte de devise ou de promesse, que nous avions empruntée à Camus, ou à René Char, je ne sais plus. L’un écrivait à l’autre: « Plus je vieillis et plus je trouve qu’on ne peut vivre qu’avec les êtres qui vous libèrent, qui vous aiment d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. La vie d’aujourd’hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu’on subisse encore de nouvelles servitudes, venues de qui on aime. »

 

L’épilogue est une pure merveille, comme ces scènes dramatiques et tragiques d’un western américain.

Comment peut finir une telle histoire ? Seule l’autrice à l’écriture singulière en détient la réponse. On reconnait la patte d’Adeline bien évidemment. Son attrait pour le monde animal est toujours omniprésent dès les premières pages, son humour, sa finesse, sa grandiloquence narrative, c’est Adeline Dieudonné, c’est elle, sans fausse note, sans lourdeur, sans temps mort. On avale les pages de ce dernier roman, Reste sans voir le temps défiler. On tremble, on comprend qu’il est possible d’aimer autrement, d’aimer un homme qui n’est pas libre, de l’accepter sans rien attendre, de tout prendre quand il est là, tout donner, tout graver dans sa mémoire, sur sa peau, sur son coeur.

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Commentaires

16 commentaires

  • Icône

    Hedwige

    le 29/05/2023 à 21:05
    Tu en parles magnifiquement Magali, mais ce qui me retient de lire ce roman, c’est cette prolongation de vie commune avec un cadavre. Etait-ce nécessaire pour montrer l’intensité d’un amour ?
    • Icône

      magali

      le 30/05/2023 à 02:05
      C’est un livre qui parle du deuil, de l’impossibilité de quitter celui qu’on aime… ça a résonne en moi, moi qui viens de perdre un être cher.
  • Icône

    Argali

    le 22/05/2023 à 18:05
    Il m’attend sur le dessus de ma PAL. J’ai hâte.
    • Icône

      magali

      le 25/05/2023 à 17:05
      Tu ne devrais pas être déçue. Impossible à lâcher ce livre, il regorge d’extraits qui résonnent et nous laissent pensives…
  • Icône

    Sandrine (HundredDreams)

    le 21/05/2023 à 20:05
    J’avais aimé « La vraie vie » alors quand je te lis, ce livre a toutes les qualités pour me plaire. Merci Magali. 😉
    • Icône

      magali

      le 25/05/2023 à 17:05
      Merci Sandrine. Déjà il faut que le résumé te plaise. Ce livre a une valeur toute particulière pour moi. Et tu sais comme j’aime quand un livre résonne sur mes blessures.
  • Icône

    Sylvie

    le 21/05/2023 à 11:05
    Une écriture vraiment singulière que j’ai déjà apprécié dans ses précédents romans, et que je ne manquerai pas de re-découvrir avec celui-ci.
    • Icône

      magali

      le 21/05/2023 à 12:05
      Tu ne seras pas déçue. Ce dernier né est une totale réussite à mes yeux. Il a fait écho en moi dans bien des passages.
  • Icône

    Chrystèle

    le 20/05/2023 à 22:05
    Quelle histoire ! Troublant, je t’ai lu avec émotion…Merci Magali, je ne sais pas encore pourquoi je suis passée à côté de cette auteure singulière …je vais le lire ! Grace à toi !
    • Icône

      magali

      le 21/05/2023 à 13:05
      Coucou tendre amie, Adeline Dieudonne a un style bien à part. Qu’on reconnaît parmi tous. Et c’est ça que j’aime avec cette auteure de chez moi.
  • Icône

    Christine Ergo

    le 20/05/2023 à 15:05
    Superbe chronique de RESTE J’ai lu les autres également, toutes belles. Bravo, continue. Amitiés, Christine (babounette)
    • Icône

      magali

      le 21/05/2023 à 13:05
      Coucou Babou ❤️ Comme ça me fait plaisir de te lire ici… j’espère que tu vas bien. Que tu es heureuse, que la vie te sourit.
  • Icône

    Carelle

    le 20/05/2023 à 14:05
    Quel plaisir que de lire ta chronique tout en profondeur. Un roman que je souhaite lire absolument. J’avais eu un vrai coup de cœur pour La vraie vie, in peu moins adhéré à Kérosène mais sa plume est hors norme et fascinante.
    • Icône

      magali

      le 21/05/2023 à 13:05
      Oui tout à fait, la plume d Adeline est à part et c’est ça que j’aime avec elle. Cette histoire dans Reste est a couper le souffle. Elle m’a beaucoup parlé surtout en ce moment.
  • Icône

    Mina

    le 20/05/2023 à 13:05
    Je l’ai justement terminé il y a quelques jours en version « Audible ». J’ai trouvé la performance de l’autrice tout à fait adaptée au contexte du roman, une voix et une intonation très agréables à écouter. J’ai aimé la tournure des phrases qui l’air de rien cachaient un peu de philosophie. J’ai terminé cette écoute avec un sentiment de satisfaction. En bref, j’ai aimé mais pas autant que toi. Il me manquait tout de même quelque chose et ce qui est très embêtant c’est que je ne parviens pas à discerner quoi??
    • Icône

      magali

      le 21/05/2023 à 13:05
      Le mystère des livres… Il m’a plu à moi parce que c’est un peu ma vie en ce moment. J’ai compris l’héroïne, et elle m’a comprise elle aussi….

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