La Coccinelle des livres

Ordinaire

Livre écrit par : Audrey Najar Maison d’édition : Harper Collins poche Nombre de pages : 216
Chronique créée le 23/02/2023 12 commentaires

4è de couverture


Hervé est un homme ordinaire. Un voisin banal.
Un gentil mari sans histoires. Un retraité de soixante trois ans qui, pour tuer l’ennui, épie les autres depuis sa fenêtre ou erre dans les rues tranquilles d’Alfortville avec son chien, Billy. Et passe peut-être parfois une tête au Perroquet, le bistrot du coin.
Un jour, de nouveaux voisins emménagent au dessus de chez lui. Jeunes, beaux, riches, avec de magnifiques enfants. Ils sont tout ce qu’il n’est pas.
Ils ont tout ce qu’il n’a plus. Si sa femme voit là une opportunité de se faire de nouveaux amis, lui les déteste immédiatement.
« Quand devient-on un monstre ? C’est quoi, un monstre ? » se demande Hervé. Lorsque l’on se pose la question, c’est qu’il est déjà trop tard.
On ne connaît pas nos voisins. Ni ceux qui partagent nos vies. Pas même cette personne là, dans le reflet du miroir. Un premier roman noir magistral, qui brosse le portrait d’un homme ordinaire et de sa descente aux enfers.

Première page 

Il n’y a rien de plus banal que la mort. Après les cris, le silence engloutit tout. Le sang, lui, s’écoule dans un sillon discret, faisant rougir le bitume. Tout est calme. Les allées de troènes dorment encore, harmonieuses, taillées au cordeau. Un sentier verdoyant à l’abri de la pierre, du bruit, des voitures, des klaxons. Le soleil, comme les oiseaux, se lève péniblement. Il n’y a plus de nids, plus de musique. C’est un temps à corbeaux. la fatigue est partout.

Aziz est épuisé lui aussi. L’homme de ménage de la copropriété plie sous le poids de ses désillusions. Tous les matins de la semaine, son réveil sonne à 5 heures. Il avale un bol de céréales à la va-vite, s’engouffre dans les transports. Compressé entre les gens pressés. Il trottine jusqu’à l’immeuble, regarde sa montre. Il arrive à 6 heures, le dos courbé. Aziz arrose les plantes, sort les poubelles, nettoie les halls. Ce matin, la tête embrumée, il pense à ses enfants, à son divorce, et donc par ricochet à sa femme. Cette sorcière qu’il a pourtant aimée, cette sorcière qu’il n’aimera plus jamais, qui lui fait un procès, qui veut l’humilier, le torturer, lui reprendre l’essentiel: sa descendance. Il pense à tout, sauf à ce qui l’attend. Il a froid dans son pull en laine polaire bleue. Il rêve de gants et de soleil. Il rêve de remonter le temps, que sa femme l’aime encore, que ses enfants soient petits, qu’ils croient toujours au Père Noël.

Chronique 

Entre roman noir et thriller, ce premier roman d’Audrey Najar est surprenant et addictif. Quand on n’est pas heureux, ça dérange le bonheur des autres…

J’aime cette phrase en haut de la couverture qui dit « Il n’y a pas de gens méchants, il n’y a que des gens malheureux ». C’était déjà écrit dans le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline : « Si les gens sont si méchants, c’est peut-être seulement parce qu’ils souffrent, mais le temps est long qui sépare le moment où ils ont cessé de souffrir de celui où ils deviennent un peu meilleurs ».
Comprenez cela et l’indulgence, l’empathie, la tolérance devraient poindre le bout du nez. Cessons de juger trop vite, grattons et voyons donc.
Hervé est retraité, il vit en copropriété avec sa gentille épouse Elisabeth. Pour arrondir les fins de mois compliqués, Elisabeth donne des cours d’anglais. Pendant ce temps-là, Hervé picole un peu trop, fait des puzzles ou promène son bichon maltais Billy. Souvent c’est sûr, il s’ennuie comme un rat mort. Et quand on s’ennuie qu’est ce qui se passe ? On rumine et ressasse. L’imagination s’en donne à cœur joie quand les journées sont grises et vides. L’équilibre déjà précaire d’Hervé va être mis à mal avec l’arrivée des nouveaux voisins de l’appartement du dessus. Hervé a l’œil affûté et il remarque tout chez ses nouveaux voisins, les Kobon. Jeunesse, beauté, richesse, réussite familiale, professionnelle, sociale, ils ont et sont tout ce que Hervé n’a et n’est pas. Lui il est juste un gars ordinaire. Il vendait des pneus avant, c’est tout. Son appartement est miteux, usé, jaunit à l’image d’une vie passée à trépas. Alors ces nouveaux voisins, ils sont là pour le narguer, le rabaissé, l’humilier.
Audrey Najar signe un premier roman épatant sur l’escalade humaine d’un homme parmi tant d’autres. Un homme fragile, à l’imagination débordante. Un homme qui essuie plus de ratés que de réussites. Et puis vous savez, ces ratés on en a tous. On fait avec pour peu que personne ne vienne se pavaner en prince devant nous. Il n’y a rien de pire quand on se sent nul et tout petit que de voir les autres heureux. Ça nous donnerait presque envie de vomir tout ce bonheur guilleret devant nous. Hervé il en est là. Il ne voulait de mal à personne, il n’était pas bien méchant avec son petit Billie mais il ne fallait pas pousser trop près de lui des vies qui puent le bonheur à plein nez.
Deux éléments vont perturber et péricliter l’équilibre de cet homme. Deux événements qui je vous l’assure, écrits avec une telle acuité réaliste m’ont percutée tout autant qu’Hervé.
Il y a ce côté tellement vrai et plausible dans l’effondrement psychologique de cet homme que c’en est saisissant. Que ce soient les scènes extérieures ou les scènes qui tambourinent dans le cosmos de ce retraité, tout fait sens sans tomber dans le macabre, le glauque ou le sensationnel. C’est un livre qui dépoussière la vie d’un homme, d’un couple qui voulait juste vivre tranquille. Mais la vie est parfois taquine ou ingrate, là-haut ils ont plus d’un tour pour réveiller les petites gens.

Commentaires

12 commentaires

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    Jeunejane – Geneviève

    le 28/02/2023 à 11:02
    Qu’est-ce qu’il me tente ce livre après une critique qui tape dans le mille. Elle fait apparaître le côté très raccourci de la phrase de Céline.
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      magali

      le 28/02/2023 à 19:02
      Oui Geneviève, ce livre est vraiment top ! Il laisse à réfléchir et à méditer. Je te le recommande à 1000 %.
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    Pancrace

    le 27/02/2023 à 23:02
    Ton commentaire est comme d’habitude attirant, surtout quand le roman te plait comme c’est le cas. Bien évidemment, je vais le noter pour faire enfler ma pile à lire pour mon plus grand plaisir. Merci de ton partage et pour la création des cet élégant et très instructif blog.
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      magali

      le 28/02/2023 à 07:02
      Bonjour Bruno, Tu me fais grand plaisir ! Te lire par ici me donne un grand sourire. Merci ☺️ Ordinaire est un livre réussi dont les nombreux avis positifs ne peuvent que t’encourager a le découvrir. Mais il faut aimer ce genre de livres assez noirs. Amitiés.
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    Sylvie (yellowcat !)

    le 26/02/2023 à 08:02
    Ces mots de Céline résonnent très fort. Pas une généralité, mais souvent. Ce peut être de la méchanceté pure, je connais ça…. Une chronique, ma chère Magali au top! Un premier roman qui désormais me fait de l’œil ! Bravo !!!🥰
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      magali

      le 26/02/2023 à 13:02
      Qui voilà ma douce amie des animaux 🥰 quel plaisir de te lire par ici Sylvie toi qui n’aimes pas les blogs. Quel honneur ! Oui je pense que ce roman pourrait te plaire car il s’intéresse aux petites gens fragiles, peu épargnées par la vie, ces gens qui vivent sur la pointe des pieds dans un coin du monde à l’ombre sans faire de bruit et qui un jour sont obligées de cohabiter avec le soleil, le bonheur, la réussite. Ça m’a parlé ce livre ! Il y a ce petit quelque chose de Elles m’attendaient de Tom Noti.
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    Chrystèle

    le 24/02/2023 à 13:02
    Encore une belle découverte et un premier roman singulier. J’aime ton parallèle avec Céline. Je me note ce livre, merci Magali !
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      magali

      le 25/02/2023 à 12:02
      Coucou Chrystele, La souffrance et le malheur n’excusent rien, certaines personnes d’ailleurs sont heureux du bonheur des autres. Mais des Hervé il y en a et la façon dont l’auteure décortique ce personnage, ça réveille l’empathie, presque de la pitié pour ce pauvre retraité. J’aime ces livres même très noirs qui font écho à ces tourmentés de la vie.
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    1967fleurd

    le 23/02/2023 à 13:02
    Excellent chronique, merci
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      magali

      le 24/02/2023 à 07:02
      Merci Marie ❤️
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    Hedwige

    le 23/02/2023 à 11:02
    Ton article est magnifique, Magali, et montre, une fois de plus, ta générosité de coeur. Je nuancerais la citation que tu évoques en disant plutôt qu’il y a des gens que le malheur rend méchants, parce qu’il y en a d’autres que le malheur rend meilleurs. Il y a même des gens qui se réjouissent du bonheur des autres malgré leur malheur à eux. Je lirai ce livre parce que je ne comprends pas comment on peut devenir méchant, d’autant plus, dans ce cas-ci, que cet homme a une gentille épouse et du temps pour faire fleurir une imagination apparemment riche.
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      magali

      le 24/02/2023 à 07:02
      Coucou Hedwige, Bien sûr, tu fais bien d’apporter de la nuance. Les gens malheureux ne sont pas tous méchants. Encore heureux ! Mais cette citation et cette histoire m’ont personnellement beaucoup parlé. C’est une longue histoire avec beaucoup de bleus au fond de moi. Je crois sinon que ce roman pourrait beaucoup te plaire toi qui es friande de thrillers et de romans noirs.

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