La Coccinelle des livres

L’enfant thérapeute

Livre écrit par : Samuel Dock Maison d’édition : Plo Nombre de pages : 334
Chronique créée le 08/03/2023 12 commentaires

4è de couverture


Pour faire le deuil de son enfance, Samuel Dock doit d’abord faire celui de l’enfance que sa propre mère n’a jamais eue. Il livre un récit poignant sur l’enfance maltraitée, ses saccages, la reconstruction et la puissance du lien filial.
À l’âge de cinq ans, la mère de Samuel, quatorzième enfant de sa fratrie, est confiée à la DDASS couverte de morsures, affamée et apeurée. Placée chez des religieuses, la petite fille commence une autre vie, préservée, en bordure du monde. Cette histoire, longtemps, elle n’a pu la raconter.
À l’adolescence, après le départ du père, Samuel voit son existence se désagréger dans l’ombre de sa soeur, anorexique, dans l’enfermement d’un quotidien hostile et dans la désolation d’une mère tourmentée. Brisé par le regret de n’avoir pu sauver sa famille, il la fuit avant de s’effondrer.
Adulte, devenu psychologue, il tente de faire entendre sa voix pour que change le sort des enfants maltraités.
Des années plus tard, mère et fils se retrouvent. La mère parle enfin, et le fils découvre alors son passé terrifiant. Elle l’a mis au monde, mais à trente-trois ans il la rencontre pour la première fois.
Ce livre est le récit d’un combat. Une quête de pardon et de réconciliation. Un hommage poignant aux victimes de violences. À toutes celles et tous ceux qui durent renoncer à secourir l’autre pour lui restituer son humanité et se sauver eux-mêmes. Pour cesser uniquement de survivre et commencer à vivre.

Première page 

J’ai rendu les clefs à la propriétaire de l’appartement, j’ai traîné les valises jusqu’en bas de l’escalier, je nous ai traînés nous.

Nous franchissons le dédale des arcades du centre-ville et parcourons les rues sales et grises qui nous séparent de ton logement. Je sonne à ta porte. Nous aurions pu rejoindre la gare directement, nous ne l’avons pas fait. Hier soir, tes invectives, soudaines et intenses, m’ont heurté même si, pour une fois, je n’en étais pas le destinataire. J’avais fait signe à Dorian, et nous avions filé sans même chercher un prétexte.

Nous ne pouvons plus fuir à présent.

Avec quelle intensité vos échanges ont-ils dégénéré après notre départ ? A quel point ta hargne s’est-elle libérée? Comment a-t-il répliqué? Est-ce qu’il y a eu des coups? Je sais de quels extrêmes tu es capable. Je laisse quelques minutes s’écouler, je respire un air coupant qui a glissé sur les montagnes jurassiennes tout l’hiver. Immobile, je perçois péniblement le goutte-à-goutte de l’appréhension dans mes poumons, à chaque inspiration une onde glaciale se propage dans mon corps épuisé et l’engourdit un peu plus. Je sais que je ne recouvrerais mon souffle qu’en quittant cet endroit où tu t’es enterré, cet immeuble, cette ville, cette région, cette à vie à demi.

Je suis prêt à tourner les talons, à te laisser là. Mais on sait tous les deux que je ne le ferai pas. Même alors que je touche la vérité de ta brutalité, je ne peux pas m’en détacher. Une sentinelle piégée. Et, derrière la porte, ta voix, sèche, assène de longues phrases, je n’en saisis que l’hostilité. J’entends aussi celle de Lance, plus étouffée encore. Je t’en veux jusqu’à en avoir mal au ventre, jusqu’à la nausée, mais je suis toujours prêt à te sauver encore et encore, à te libérer de ce mal que tu commets, comme de celui que tu t’infliges, maman.

Extrait

« Mon père, à la cuisine, épluchait une orange avec délicatesse, donnait un par un les quartiers à ma soeur Chantal. En me voyant arriver vers lui, il m’a jeté la pelure au visage. « Toi, tu n’as besoin de rien. » Même lorsqu’on a tout, quand on vit confortablement, qu’on ne manque de rien, il y a toujours un détail, quelque chose qui rappelle le passé qui ne disparaît jamais. Une orange. Une simple orange dans une corbeille sur une table. Et je me souviens alors que mon père ne me donnait que les épluchures. Une orange, et le présent s’effondre, mes parents se redressent. Les monstres ressuscitent tous de leur sommeil, et je me rappelle mon corps et mes pensées brisés, une dernière limite avant la mort. »

Chronique 

Traumatismes de l’enfance, toute la difficulté de rompre le cercle vicieux des maltraitances, perpétuel recommencement, perpétuelle malédiction. 

Samuel Dock, psychologue se confie dans L’enfant thérapeute sur sa mère, sur sa propre enfance, ses doutes, son amour, les silences dans lesquels il a grandi, ressentant les fantômes du chagrin qui rôdaient autour de sa mère. Il parle de la violence dans la petite enfance, des traumatismes qui en découlent, des refuges qui permettent de tenir, de cet héritage maudit qui coule de sang en sang et il parle aussi d’amour, de cette capacité à aimer sa mère quand tout est dit, cette mère habillée de sombre, de larmes, de maladresses mais la seule mère pourtant. La sienne.

 

Divisé en trois parties, ce récit s’articule autour de ces béances.

 

Dans la première partie, on suit la relation triangulaire entre Béatrice la mère, Samuel et sa soeur Thaïs à Noël. Leurs rapports tendus, les crises de Thaïs, souffrant de problèmes mentaux qui accaparent tout le monde, les brimades qu’essuie Samuel. L’auteur appelle cet environnement d’état fantôme, un univers où règnent la violence, les mensonges, le chantage.  Pour sauver sa peau, Samuel fuit cette famille toxique. Jusqu’à ce que sa mère lui confie son histoire meurtrie.  L’écriture de Samuel Dock se montre introspective teintée de lyrisme avec un vocabulaire souvent soutenu. Cette première partie, j’avoue, n’a pas toujours été simple à suivre pour moi.

 

Dans la seconde partie, on découvre l’histoire de la mère, Béatrice. Son enfance jusqu’à ses cinq ans dans une fratrie de quatorze enfants, son calvaire, ses maltraitances. Béatrice, peut-être l’enfant de trop, gênait, dérangeait. Bébé, on la secouait à outrance quand elle pleurait de trop. Privée de nourriture par la suite, elle se faisait mordre par sa sœur Chantal, malade mentale, et la protégée de ses parents. Son père était un monstre de la pire espèce, dépourvu d’amour, de gentillesse et d’intelligence. Il rouait de coups sa femme pour un oui, pour un non et cette dernière soumise jusqu’à la moelle n’avait plus aucune force ni étincelle dans son cœur, les caresses étaient rares, sauf pour la petite Chantal.

 

« Je suis cousue de souvenirs tristes, de morceaux de vie rapiécée, d’instants froissés, de sensations sèches, métalliques. Vous m’avez oubliée dans un coin mais, dans ce coin, comme je pouvais, je vivais, je résistais avec trois fois rien, les caramels au fond de ma poche, l’image du jardin de grand-mère, le livre de Blanche-Neige, la main de ma mère. »

 

Il faudra cinq ans pour qu’une assistante sociale enlève Béatrice à sa famille et la place en lieu sûr. Cinq ans sans que ni le médecin ni les gendarmes ni les voisins ne s’inquiètent nullement de la situation. Cinq ans de carences et de mauvais traitements c’est bien trop long pour espérer sauver sa peau. Placée dans un pensionnat religieux en Belgique, Béatrice va découvrir tout ce dont elle a été privé jusqu’à lors.

L’écriture est ici beaucoup plus fluide, plus terre à terre, plus visuelle surtout. Impossible de rester de marbre face au calvaire de la petite fille.

 

Dans la dernière partie, L’enfant thérapeute se délie, se console.

« Je soigne les autres parce que tu as pris soin de moi, maman. »

 

Samuel comprend mieux sa mère. Il se questionne. Lui qui s’occupe d’enfants maltraités, il se demande comment aider sa mère, il se demande aussi si tel est son rôle, perdu entre le besoin d’être le fils qu’on aime et protège et la réalité d’une mère dépendante de lui. Il se rend compte que le schéma de l’enfance de sa mère se perpétue à travers sa sœur. Toute l’attention lui étant accordée comme du temps de Chantal.

 

C’est un thème, celui des traumas de l’enfance qui me tient beaucoup à cœur d’où mon intérêt pour ce livre. Je ne suis pas rentrée dans ce livre comme j’aurai aimé, l’écriture, surtout en première partie n’était pas simple à suivre, la narration souvent ardue ne m’a pas toujours permis de ressentir l’émotion escomptée.  N’en reste pas moins que certains passages sont d’une très grande beauté qui sonnent juste.  C’est aussi un vibrant hommage que rend ici Samuel Dock à sa mère et à tous ces instants infimes d’amour auxquels se sont cramponner autant la mère que le fils afin de sauver leur peau. Je terminerai cette chronique avec l’un d’entre eux:

 

« La misère véritable, ce n’est jamais la pauvreté, c’est celle d’un cœur désert. »

L’auteur: Samuel Dock 

Né à Lille, Samuel Dock grandit à Barr (Alsace) jusqu’à ses dix ans ; c’est sa mère, bibliothécaire, qui lui transmet le goût des mots. sa famille déménage en Franche-Comté, et c’est à Besançon qu’il étudie la psychologie à l’université de Sciences du Langage de l’Homme et de la Société. Vivant à Paris depuis 2010, il exerce toujours le métier de psychologue clinicien en parallèle de son activité littéraire.

 

Source: https://everybodywiki.com/Samuel_Dock

 

Découvrez ma page consacrée aux traumas de l’enfance https://coccinelledeslivres.be/trauma-de-lenfance/

Une mine d’or si ce sujet vous intéresse tels que ces livres coups de coeur que je vous partage ci-bas. 

Commentaires

12 commentaires

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    Corinne

    le 26/03/2023 à 18:03
    Touchante critique. Tu fais bien ressortir la transmission et le fait qu’un enfant doit à tout prix réparer les traumatismes de son parent. C’est un sujet qui me touche, surtout depuis mon dernier poste à l’ase.
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      magali

      le 27/03/2023 à 23:03
      Merci beaucoup Corinne. Si ce thème t’intéresse, n’hésite pas à aller voir ma rubrique A la croisée des maux. J’y ai consacré tous mes avis de lecture intéressants et bouleversants. (Traumas de l’enfance et d’autres thèmes,…)
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    Ashlie

    le 13/03/2023 à 21:03
    Très beau retour malgré la difficulté des sujets abordés… Je confirme que ces traumas peuvent casser un enfant. L’adulte d’aujourd’hui se doit de se faire aider pour changer les biais cognitives pour s’approprier d’autres habitudes et d’autres points de vue.
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      magali

      le 13/03/2023 à 22:03
      Merci Ashlie pour ton petit mot. En effet, lorsqu’on a des traumas durant l’enfance, il faut aller à l’encontre de belles personnes afin de gagner en résilience et cultiver des outils pour palier à ses déficiences affectives quand on est petit. Amitiés.
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    Hedwige

    le 10/03/2023 à 22:03
    C’est insupportable ces violences et maltraitances, vraiment ça me donne envie de pleurer, ça me déchire. Merci pour ton retour sincère.
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      magali

      le 11/03/2023 à 15:03
      Oui Hedwige, ces parents qui sont méchants et maltraitants ou ces mères dépressives, borderline, quel malheur pour ces enfants qui vont s’abîmer et avoir des traumas à l’âge adulte 😢
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    Geneviève – Jeunejane

    le 10/03/2023 à 11:03
    L’auteur aborde un sujet bien réel . Une appréciation complète qui m’éclaire sur le contenu et m’a fait penser au livre, plus romancé et tout mince de Delphine de Vigan :  » Les loyautés ». Certains enfants ressentent souvent les souffrances de leurs parents, les cachent aux yeux des autres et veulent les aider au jour le jour.
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      magali

      le 11/03/2023 à 15:03
      J’ai lu Les loyautés et en effet, le petit Théo est bien malheureux avec son père alcoolique et absent (si j’ai bon souvenir).
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    Victoria BONUS

    le 08/03/2023 à 14:03
    C’est un sujet qui me bouleverse. Très belle chronique.
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      magali

      le 09/03/2023 à 12:03
      Merci Victoria. J’ai tant et tant lu sur ce sujet que mon avis ici est nuancé.
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    Fanny (Fanny 1980)

    le 08/03/2023 à 13:03
    Merci pour cette belle critique ! C’est dommage quand la forme, la narration ne permet pas de ressentir pleinement les émotions. Je ne sais pas si tu as lu Vers la violence sur les traumas de l’enfance. Je pense à ce livre sur cette thématique, car j’ai beaucoup aimé la plume de autrice.
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      magali

      le 09/03/2023 à 12:03
      Vers la violence est dans ma WL mais j’hésite à le lire. Certains avis sont assez mitigés. J’ai tellement lu sur ce sujet que je deviens très exigeante.

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