La Coccinelle des livres

Et le jour sera pour eux comme la nuit

Livre écrit par : Ariane Bois Maison d’édition : J'ai lu Nombre de pages : 123
Chronique créée le 29/06/2023 16 commentaires

4è de couverture


Denis d’Aubigné est bien mort, ce 23 janvier à huit heures du matin, dans la cour d’un immeuble bourgeois d’une rue paisible du XVe arrondissement de Paris. Vingt ans, sept étages. Pourquoi un jeune homme met-il brutalement fin à ses jours ? Un père, une mère, une grande soeur et un petit frère cherchent à répondre à cette question déchirante. Où est Denis ? Où sont-ils sans lui ? On ne sait rien de la mort sauf qu’elle change des vies.

Extrait

«Le pire, l’onde de choc, c’est après… Bien après… La vie qui reprend pour les autres, voilà l’intolérable.»

Chronique 

Bouleversant roman sur l’impossible deuil.
Et le jour pour eux sera comme la nuit a été récompensé du prix du Premier Roman de la ville de Dijon et de la bourse Thyde Monnier de la Société des gens de lettres en 2009.
Ca ne prévient pas quand ça arrive
Ca vient de loin
Ca s’est promené de rive en rive
La gueule en coin
Et puis un matin, au réveil
C’est presque rien
Mais c’est là, ça vous ensommeille
Au creux des reins
Le mal de vivre
Le mal de vivre
Qu’il faut bien vivre
Vaille que vivre 
Il y a des moments dans une vie où rien ne va plus, où le malheur se joue de nous sans crier gare. Ça amène un mal être, un mal de vivre qui balaye tout sur son passage. À quinze, à vingt ou à quarante ans, la souffrance est parfois telle qu’on veut lui tordre le cou à coup de cachets ou s’envoler pour finir mort écrasé sur le sol. Comme le fils de Et le jour sera pour eux comme la nuit, Denis, vingt ans. Il n’a laissé aucun mot, aucun indice avant son suicide. Imaginez un instant vous retrouver devant le visage bleu ou blanc de votre enfant, mort devant vous… Imaginez la douleur, le cri de désespoir qui fait trembler la nuit. Puis imaginez l’après. Toutes ces premières fois sans lui. Le premier dimanche, le premier déjeuner, le premier film, toutes ces premières fois sans lui. Parce que oui, comme l’écrit en d’autres mots Ariane Bois et d’autres, l’absence est une présence assourdissante.
Imaginez ensuite les questions. Pourquoi ? Pourquoi nous, pourquoi lui ? Qui avait vu ? Imaginez alors la douleur pour la mère (Laura), le père (Pierre), la sœur aînée (Diane), le petit frère (Alexandre), une douleur tue mais trahie par ce que tout le monde voit sauf vous : votre mine sombre parsemée de nouvelles rides et cernes, la maigreur chez cette sœur qui refuse de manger, comme un refus de vivre sans lui, la violence du petit qui ne comprend rien et perd pied. Mais la famille se tait, ne voit rien, enfermée dans des pensées cauchemardesques, emmurée dans une bulle noire de chagrin.
On fait tous la même prière
On fait tous le même chemin
Qu’il est long lorsqu’il faut le faire
Avec son mal au creux des reins 
Est-il lâche ou courageux celui qui ose décider de sa mort, de son épilogue funeste ? Denis comme tant d’autres qui se sont suicidés ont perdu toutes raisons et envie de penser aux autres. C’est ce qui arrive quand on souffre trop, on ne voit plus les autres. On n’imagine pas ce qu’on va laisser après notre mort. On n’y pense pas. On a déjà trop à souffrir, ça use, c’est l’enfer, on ne sait plus ce qu’on va faire de soi, comme le chante l’autre Brel.
Ariane Bois écrit dans ce petit livre la vie pour ceux qui sont restés sur le bas côté, elle dissèque sur une année l’après de chaque membre d’une famille endeuillée avec une méticulosité sans précédent. Chaque mot est à sa place. L’empathie carbure, la gorge se noue, l’oxygène vient à manquer, jours et nuits se confondent dans une danse macabre.
Il y aurait tant à dire sur ce livre… tant à comprendre, à se dire pour que les idées d’en finir se taisent, tant à aimer et à y croire pourtant.
Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les mains nues
Nous ne voulons plus les entendre
On ne peut pas, on n’en peut plus
Et tous seuls dans le silence
D’une nuit qui n’en finit plus
Voilà soudain qu’on y pense
A ceux qui n’en sont pas revenus
Du mal de vivre
Leur mal de vivre
Qu’ils devraient vivre
Vaille que vivre

 

Toutes mes lectures autour du deuil sont à retrouver sur ma page A la croisée des maux: https://coccinelledeslivres.be/deuil/

 

L’auteure: Ariane Bois


 

Pour son tout premier livre, Ariane Bois aborde un sujet tragique : le suicide des jeunes. Cet acte, fréquent, souvent incompris, rarement expliqué entraîne les familles dans l’enfer du doute et du remord. Les parents sont marqués à vie, les frères et sœurs considérés comme « des endeuillés de seconde zone ». Personne ne pense à leur souffrance alors que reposent sur leurs épaules le poids du chagrin, le soutien des parents et parfois l’avenir de la famille.
 » (…)Il fallait montrer de quelle façon une famille qui se bat contre la culpabilité, le remord, le sentiment d’isolement vit une année de deuil, donc une année différente des autres. Il fallait faire comprendre au lecteur comment ce couple menacé d’exploser reste finalement debout. Le suicide n’est pas une mort comme les autres. C’est une mort qui interpelle, qui demande des réponses, qui représente le malheur absolu. (…) 
Interview complète par ici

My sweet, ton absence résonne en moi comme une présence qui crie famine, j’étais ton soleil, tu fais de moi une orpheline à jamais. Un jour, on se retrouvera. 

N’hésitez pas à partager ici vos pensées en souvenir d’un être cher…

Commentaires

16 commentaires

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    Marie-Pierre

    le 19/07/2023 à 10:07
    Une chronique hyper touchante, triste et employée d’empathie, Magali. Et merci d’avoir posté l’interview de l’autrice qui est criante de sincérité et très incitative. Bisous à toi Coccinelle 🐞
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      magali

      le 19/07/2023 à 12:07
      Merci Marie-Pierre. Tu sais combien ça me fait plaisir de te lire ici. Si tu veux aller jeter à ma pile à lire, je vais de recevoir pleins de livres d’occasion pour mon « été italien » en outre. L’idée de lire avec toi me séduit toujours. Amitiés.
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    Marie

    le 30/06/2023 à 17:06
    Je vais mieux « qu’avant », j’ai un très bon traitement que j’ai encore, je suis en fin de thérapie, pour le sevrage, mais ça ne se fait pas comme ça. Ma vie a complètement changé, je suis plus sereine, mais j’ai encore des fragilités qui sont dues à mon passé, car mon passage en clinique psychiatrique m’a profondément marqué. On est plus comme avant, quand on est allé au fond du puits, mais résiliente tout de même. J’aime tes chroniques Magali, je me régale à te lire, pour ta pertinence, ton amitié, ton talent d’écriture, ton empathie, tu nous déniches toujours de belles lectures. Je t’embrasse Marie
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      magali

      le 01/07/2023 à 12:07
      Mais tu es adorable Marie. Oui oui oui, tout ce que tu me livres ici est juste, c’est vrai que toucher l’enfer quand on remonte, ça laisse des traces indélébiles. On n’est plus pareils. On est fragile, parfois un peu perdu, moins vivant que les autres. Moi aussi j’ai un traitement et sans lui je ne me supporterai pas. Jusqu’à ma mort je crois que ces pilules m’accompagneront. Que veux tu. Parfois les blessures sont telles qu’on a besoin d’un traitement pour certains à vie. Merci de tout mon cœur pour ce si gentil message, tes compliments qui me portent. Je doute encore souvent et quand je lis un tel message, je repars de plus belle. As-tu été jeter un œil à ma rubrique À la croisée des maux ? Y aurais tu repéré certains livres ? Je t’embrasse bien fort.
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    Marie

    le 30/06/2023 à 07:06
    J’ai tenté de mettre fin à mes jours, il y 6 ans, j’ai été hospitalisée en Région parisienne dans une clinique privée, à Rambouillet 2 mois 1/2 car mon mari travaillait en psy dans l’Eure et il était bien connu. Je reviens de très loin m’a dit le psychiatre en partant
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      magali

      le 30/06/2023 à 13:06
      Oh ma pauvre, c’est terrible. Je sais que le suicide cache une souffrance abominable. Cette souffrance ne laisse plus rien passer. Elle étouffe, nous prive d’oxygène, de lumière, de répit. Tout est à vif et on meurt à petit feu. J’espère qu’aujourd’hui tu vas mieux. Que tu portes un regard plus confiant et clément sur toi, et la vie que tu mènes.
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    Diana Auzou

    le 30/06/2023 à 07:06
    Bonjour Magali, je ne pourrais pas lire ce livre, pas maintenant, et je ne sais pas si je le lirai un jour, ni quand. Je pense à aller vers Jean-François Beauchemin que j’ai découvert dans tes chroniques. Comment habiter le monde, la beauté de la simplicité qui va, à mon sens, avec profondeur dans la relation avec tout le vivant, sont des réflexions qui m’intéressent, et si le style vient avec sa part d’émerveillement, alors j’y fonce. (je pense à La petite lumière, d’Antonio Moresco) A très bientôt
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      magali

      le 30/06/2023 à 13:06
      Coucou Diana, Tu sais je continue à penser que les livres ne viennent pas à nous par hasard. J’aime à penser que le monde de l’invisible veille et nous pousse dans des lectures qui nous consolent, ou qui résonnent en apportant un autre regard. Ce livre m’a permis d’être en empathie face aux vivants. De me trouver peut-être lâche d’avoir eu des moments de terribles faiblesses. Je n’ai pas pensé que j’allais détruire la vie de certains et le mal que je leur ferai. Ariane Bois décrit avec une telle précision cet apres pour ceux qui restent et balancent dans le vide, ça amène l’empathie, la compassion, la conscience. Celui qui pense au suicide souffre c’est indéniable. Mais ceux qui restent privé de celui qu’ils aiment et à qui ils ont donné la vie, c’est une douleur lancinante qui jamais ne s’éteint.
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    Sylvie

    le 29/06/2023 à 22:06
    J’ai eu beaucoup de chance : ma fille en a réchappé, et pourtant elle avait mis toutes les « chances » de son côté, quand à 27 ans elle a décidé que sa vie ne valait plus d’être vécue. Elle a passé plusieurs jours en réa, les médecins étaient très réservés sur le pronostic, nous n’avions pas le droit de la voir. Nous étions fous d’inquiétude. Une fois le « cap » franchi, elle a été mise en coma artificiel et on pensait que son foie ne fonctionnerait plus jamais correctement. Elle a encore passé 10 jours en soins intensifs, puis elle a été placée en HP, où elle m’a supplié de venir la chercher au bout de quatre jours. Nous n’avions rien vu venir, nous la pensions heureuse avec son compagnon, et quand il m’a appelé pour me prévenir, le ciel m’est tombé sur la tête, j’ai remis en question tout ce que nous avions fait depuis sa naissance. Nous avons tellement culpabilisé ! Nous avons su plus tard que les raisons n’avaient rien à voir avec nous, mais nous porterons ce traumatisme en nous le reste de notre vie. Maintenant elle a 31 ans, elle vit loin de nous, elle a divorcé de ce compagnon qui était devenu son mari pendant quelques mois et pour lequel elle a tout quitté, mais elle s’est reconstruite, et nous dit qu’elle va bien, qu’elle vit ses meilleures années. J’espère que c’est vrai…
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      magali

      le 30/06/2023 à 13:06
      Il y a à la fin de ce livre un message très lumineux. « Avec Diane, il parle souvent de Denis, comme s’il s’était absenté. Il sait qu’il ne reviendra pas. Et cette certitude le fait vivre pour deux. Alexandre n’a jamais autant aimé la vie, il le doit à Denis. » Merci Sylvie pour ce partage très intime. La détresse mentale est quelque chose de terrible. Une souffrance qui arrête tout et nous emprisonne sous terre en enfer. J’ose à croire pour ta fille et d’autres qu’avoir touché le fond les réveille plus forts et plus enclin à aimer la vie. J’imagine combien tu as dû être folle d’inquiétude quand c’est arrivé. On n’est jamais préparé à voir son enfant si mal au point d’en finir avec la vie. Ça fait très mal…
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    Marie

    le 29/06/2023 à 21:06
    Très belle sur un sujet difficile à écrire. Moi, je pensais ne pas me réveiller, mais je me suis ratée. Retour à la réalité très difficile. Mais aujourd’hui, j’ai remonté la pente et je vais beaucoup mieux
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      magali

      le 29/06/2023 à 22:06
      Je ne comprends pas bien ton message… « ne pas me réveiller, me suis ratée », que veux-tu dire par là? Tu as traversé un deuil ? Une épreuve? Je t’envoie toutes mes ondes positives. Profite du ciel bleu et du joli soleil pour te ressourcer.
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    Jeanne

    le 29/06/2023 à 21:06
    Ce roman me rappelle un très beau film que j’ai vu dernièrement : Le fils de Florian Zeller. Tu eu l’occasion de le voir? Très bon choix d’accompagnement musical : la chanson de Barbara véhicule une émotion puissante.
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      magali

      le 29/06/2023 à 21:06
      Merci Jeanne pour cette suggestion cinéphile, je le regarderai bientôt en pensant à toi 🙂 Quand j’ai perdu mon bien-aimé, j’écoutais cette chanson de Barbara les larmes mouillés de larmes car ses paroles me collaient à l’âme et au coeur. Une chanson poignante au même titre que sa chanson « Dis, quand reviendras-tu? » C’est tellement dur de vivre quand on vient de perdre un être cher. Je me sens orpheline, les bras ballants en peine. En manque. Je t’embrasse bien fort. Prends soin de toi.
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    Babounette

    le 29/06/2023 à 19:06
    Bonjour Magali, dure dure cette lecture, elle me fait penser au livre d’Olivia de Lamberterie, qui raconte sa souffrance de soeur. C’est vrai que les frères et sœurs sont considérés comme des « endeuillés «  de seconde zone. Étant passée par là, je sais de quoi je parle. Je note ce livre, pour un peu plus tard. Et pour répondre à ta question dans mon commentaire précédent, oui bien sûr je me souviens de toi au pique-nique bruxellois au Jardin Botanique.
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      magali

      le 29/06/2023 à 21:06
      Coucou Babounette, J’ai lu le livre d’Olivia : Avec mes sympathies et je l’ai moyennement aimé. J’ai préféré sur ce même thème (bi polarité et suicide) L’autre qu’on adorait. Ce petit livre d’Ariane m’a émue jusqu’aux larmes… quel livre bouleversant.

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