La Coccinelle des livres

Oiseau de proie

Livre écrit par : Lucy Banks Maison d’édition : Belfond Nombre de pages : 316
Chronique créée le 24/03/2023 19 commentaires

4è de couverture


Après vingt-cinq ans passés derrière les barreaux, celle que l’on surnomme « l’Oiseau boucher » est désormais libre. Enfin, libre, un bien grand mot pour cette quinqua qui doit désormais rendre des comptes réguliers à une conseillère désabusée, remettre ses émotions entre les mains d’un psy aigri et vivre sous une fausse identité dans une ville qu’elle ne peut quitter.
Heureusement, il y a Bill, son gentil voisin, un ancien SDF qui tente de se racheter auprès des siens. Un ami pour Ava, peut-être plus. Après tout, elle a payé sa dette, elle a droit au bonheur et rien ne saurait l’empêcher d’en profiter enfin.
Mais quelqu’un l’a reconnue. Un corbeau qui la menace, la pourchasse, réclame vengeance pour ses victimes. Qui peut bien être assez fou pour réveiller l’Oiseau boucher ?
 
Avec une prose qui évoque Lionel Shriver, Lucy Banks plonge son lecteur dans la psyché d’un personnage aussi fascinant qu’effrayant. Un roman noir très noir, intense et sidérant qui aborde de l’intérieur l’insécurité émotionnelle, l’humiliation et la folie.

Première page 

Les mouettes crient. Des notes stridentes, répétées. En fond sonore, des croassements graves; la colonie est au grand complet. Le bruit envahit mon crâne, me brûle.

Regarde la mer, ordonne Papa. Les yeux devant, pas vers moi. 

Mais il désigne un point dans le ciel, loin au-dessus de nos têtes.

Je suis la direction de son doigt et je vois l’oiseau, ses ailes écartées, les spatules de ses pattes qui pendent vers le sol. Il est plus grand et plus noir que les autres. C’est une femelle labbe, elle cherche un nid à piller, un oisillon à déchiqueter.

C’est pas bien. Je me tais; ma bêtise ne ferait que m’attirer le dédain de Papa. C’est la nature. Et la raison qui nous amène ici, pour observer sans juger. Papa me transmet son savoir, il est important que j’écoute, que j’apprenne, que j’assimile tout.

(C’est un rêve. Je le sais alors même qu’il se déroule. N’est-ce pas toujours le cas?)

Il y a de l’élégance chez le labbe, dans sa forme brutale et effilée, son plumage lisse. Mais son bec est cruel? Grand ouvert, il me rappelle la gueule haletante d’un chien.

Je tourne la tête vers la falaise et je te vois. Pas tel que tu étais le dernier jour, mais avant. En bonne santé, mal à l’aise dans ton corps adolescent, les mains enfoncées dans les poches de ton jean. Mais il est impossible que tu sois là, c’est un autre endroit dans le temps, bien loin de celui où nous nous sommes rencontrés. Tu n’existes plus.

Extrait

« Je crois que j’ai un énorme problème,

à savoir que les autres ne voient pas le monde de la même manière que moi.

Ou alors, c’est moi le problème. »

Chronique 

Ava Webber vient de sortir de prison après près de vingt-cinq ans passés sous les barreaux. Le mystère plane sur les raisons de son incarcération. Pour assurer sa sécurité et sa réinsertion, l’Etat lui octroie un logement et une nouvelle identité. Désormais, elle s’appellera Robin. Elle devra se rendre chaque semaine au cabinet d’un psychologue qui prend un malin plaisir à lui faire ressasser les erreurs du passé. Robin se braque et ne souhaite qu’une chose, aller de l’avant et sentir sur sa peau le vent de la liberté. Après vingt-cinq ans enfermée, Robin est marquée. Elle ne parvient pas à se sentir à l’aise dans cette liberté retrouvée. Les cauchemars la hantent, la peur n’est jamais loin. Elle vit recluse de peur qu’on la reconnaisse. Chaque nouvelle situation à l’extérieur lui demande un effort. A côté vit un homme seul, Bill qui ne tardera pas à faire la connaissance de sa nouvelle voisine. Bill est un ancien SDF, un peu bourru mais pas méchant. Bill et Robin vont doucement s’apprivoiser, rapprochés par leurs blessures communes.

 

L’histoire de Robin ou Ava est troublante, impossible de s’en détacher. Quelque chose d’hypnotisant me ramène à cette femme. Sa manière d’être inadaptée dans la vie, jetée dans la fosse aux lions en quelque sorte, ses pensées qui tournent en rond et la ramènent en arrière (vingt-cinq ans enfermée, il s’en est passé des choses !). Elle pense à la prison, cette « grande cage dangereuse sans nulle part où aller se cacher, peuplée d’une foule de créatures sauvages, mortelles et prêtes à bondir« .

 

Plus le temps va passer, plus Robin va se sentir mal. La peur l’enserre, quelqu’un la suit, la traque, on lui en veut.

 

Roman noir où l’ambiance oppressante est à son apogée. L’héroïne principale, Robin ou Ava est décrite avec grande précision. On est dans sa tête, on ressent ses angoisses, ses difficultés. Plus on avance dans l’histoire, plus le mystère se dissipe. Des noms apparaissent, des pans du passé de Robin, et petit à petit, des pistes plus que troublantes se dessinent…

La jeunesse de Robin prend forme, avec des réminiscences autour de son père, ornithologue. Robin est passionnée par les oiseaux, surtout les oiseaux de proie. Son père comparait souvent la vie aux oiseaux. Robin  a continué. J’ignorais par exemple qu’un cygne pour s’accoupler bloquait la tête sous l’eau de la femelle, risquant ainsi de la tuer.

 

J’ai accompagné Robin plusieurs jours sans pouvoir la lâcher. Ses réactions m’ont semblé à la fois évidentes et tantôt suspectes. Dés que quelqu’un la contrarie par exemple, elle rêve d’aplatir la tête de l’autre dans le mur d’en face. Elle y va fort ! Elle est aussi accro à ses somnifères qu’elle nomme ses « petits amis ». Elle a une piètre opinion des gens qu’elle considère pour la majorité comme des « parasites, résidus qui aspirent autour d’eux sans rien laisser« .

 

Si vous aimez les romans noirs dont l’ambiance monte crescendo, où les frontières entre réalité et folie sont minces, si vous aimez les romans qui plongent dans la noirceur de l’âme humaine, dans les couloirs d’une société défaillante (quelle prise en charge au final pour les ex détenus ?), Oiseau de proie est pour vous. Une histoire à la Hitchcock très sombre et fascinante à la fois. Pour un premier roman, je dis bravo.

Si vous aimez les romans d’ambiance, voici quelques suggestions: 

Commentaires

19 commentaires

  • Icône

    Marie-Pierre

    le 15/05/2023 à 09:05
    Merci pour cette précieuse présentation qui m’a menée vers cette très prenante lecture, Magali. J’ai adoré !
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      magali

      le 17/05/2023 à 10:05
      Génial !!! J’en suis ravie. Heureuse qu’on partage le même entrain sur des lectures communes. Ça me touche.
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    Dominique

    le 29/03/2023 à 12:03
    Très tentant Magali, merci ! Cette belle couverture avait attirée mon attention !
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    Chrystèle

    le 28/03/2023 à 11:03
    Bravo Magali, tu restitues à merveille l’ambiance de ce livre qui m’a l’air très hitchcockien en effet…Tentée !
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      magali

      le 28/03/2023 à 12:03
      Merci beaucoup Chrystèle. Tu es adorable à venir me dire bonjour par ici. Amitiés, Magali.
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    Hedwige

    le 27/03/2023 à 17:03
    Merci pour ta réponse Magali hélas je ne vois pas tes coccinelles car je dois mettre mon écran en mode sombre pour protéger mes yeux.
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      magali

      le 27/03/2023 à 23:03
      Zut alors, pour ce livre ma cotation en coccinelles est de 4,5/5.
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    Sandrine (HundredDreams)

    le 27/03/2023 à 10:03
    La jolie couverture a attiré mon regard et ta chronique finit par me convaincre. Merci Magali pour ce beau retour.
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      magali

      le 27/03/2023 à 23:03
      Merci Sandrine, ce livre est brillant, je te le recommande. Amitiés.
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    Nicola

    le 26/03/2023 à 14:03
    Tu as encore fait grossir mon pense-nouille avec ta critique si tentante.
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      magali

      le 26/03/2023 à 16:03
      Vive les grosses pense-nouilles hihi ma Nicola, la tour de pise n’aura bien qu’à se tenir 😉
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    Yellowcat

    le 26/03/2023 à 08:03
    Alors là, Magali, que tu me donnes très envie de le lire. J’aime ce genre de personnage. Et l’ambiance que tu décris me plaît énormément. Et tu cite Hitchcock !!! Merci Magali !
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      magali

      le 26/03/2023 à 16:03
      Un livre que tu pourrais aimer chère Sylvie, littérature anglaise, nature-writing, ambiance hitchcockienne, héroïne prenante… N’hésite pas à le lire. Amitiés.
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    Jeanne Lerrante

    le 25/03/2023 à 18:03
    Je ressens l’atmosphère oppressante au travers de ta chronique. J’imagine ce que je ressentirais en lisant le roman 😳! Tu conseilles Rebecca. Je l’ai lu et aimé. As-tu vu le film inspiré du roman ?
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      magali

      le 26/03/2023 à 16:03
      Coucou chère Jeanne, Non je n’ai pas vu le film Rebecca. J’ai juste lu et beaucoup aimé le livre. Si tu as aimé ce livre, il y a beaucoup de chance que tu aimes Oiseau de proie, un livre très prenant. Amitiés.
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    Victoria BONUS

    le 25/03/2023 à 17:03
    On dirait que tu as découvert un roman noir addictif. Merci pour ce billet 🤗
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      magali

      le 25/03/2023 à 18:03
      Avec plaisir ma belle. J’ai adoré ce livre 😁
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    Hedwige

    le 24/03/2023 à 20:03
    As-tu aimé cette lecture au final? Je reste hésitante, un peu inquiète devant ce livre qui joue beaucoup sur la menace et l’angoisse. Merci de l’avoir lu, je n’avais pas osé le demander à NetGalley .
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      magali

      le 25/03/2023 à 18:03
      Regarde le nombre de coccinelles à la fin de mon article, ça te donnera une idée de mon degré d’appréciation. Sinon oui n’hésite pas à le solliciter et le télécharger sur NetGalley.

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