Perdu au cœur de ma bibliothèque modeste, « Le palanquin des larmes » y languissait depuis un certain temps. L’envie d’un roman asiatique me titillait, voici donc ce livre enfin dans mes mains, pour mon plus grand plaisir de lectrice.
Ce roman restitue avec précision et sobriété l’histoire de Chow Ching Lie, une petite fille éblouissante née à Shanghai dans les années cinquante. Protégée par l’amour de son père intellectuel courageux et sa mère paysanne dévouée qui se battra pour préserver sa famille, Lie (surnommée Julie) grandira dans le confort d’une maison paisible respectant les traditions chinoises les plus sacrées. Sa mère bouddhiste lui inculquera nombreuses sagesses et cette religion sera fréquemment au cœur du récit. Petite fille malicieuse et précoce, Julie trouvera sa vocation la plus profonde dans la musique. Une voyante lui avait prédit qu’elle devrait faire attention à un instrument musical métallique, cette prophétie se vérifiera des années plus tard.
Son teint eurasien, ses grands yeux et sa beauté exceptionnelle attireront des convoitises et à treize ans seulement, Julie sera mariée contre son gré à Liu, l’héritier d’une des plus grandes fortunes de Shangaï.
Passant des jours et des nuits à pleurer sur son destin tragique avec son frère et sa sœur en cherchant comment éviter ce mariage forcé – rien n’y fera. Julie sera mariée sans connaître les coutumes chinoises traditionnelles. Son mariage occupe une place considérable dans ce roman tant il est intense et choquant pour nous modernes européens. C’est un passage du livre très visuel et qui marque incontestablement le lecteur. Apprendre que la mariée devra par exemple se changer quatorze fois durant sa journée de noce, que les plus somptueux repas seront servis mais que son ventre restera vide jusqu’à rejoindre le lit conjugal des heures plus tard, faute à des cérémonies qui n’en finissent plus. C’est dans cet extrait que l’on comprend alors le sens du titre: Le palanquin des larmes. « Avant le mariage de sa fille, plus une mère verse de larmes, plus son enfant sera heureuse et fortunée. Ces pleurs ont un nom : on les appelle « les larmes du palanquin fleuri » parce qu’elles étaient versées autrefois au moment où la fille à marier montait dans la chaise à porteurs décorée de fleurs qui l’emportait vers la cérémonie des noces. »
La vie de cette jeune fille chinoise sera éprouvante : quitter sa famille aimée, apprendre à être une épouse alors qu’elle n’est encore qu’une enfant; subir les cruautés de sa belle-mère jalouse qui désire un petit-fils malgré la jeunesse de la nouvelle mariée.
Les traditions chinoises sont décrites minutieusement rendant le récit captivant; je me suis sentie plongée dans ce pays dont je ne connais rien. La soumission des femmes chinoises, les coups infligés, les tâches dégradantes – tout cela nous est présenté avec une grande précision.
Parallèlement, nous suivons l’émergence du communisme avec l’ascension de Mao Tsé Toung et la fin du régime féodal. L’auteure décrit sans prendre position les événements tumultueux des années soixante assez détaillés pour que le lecteur juge lui-même cette mutation politique. L’auteure se permet simplement de noter que la Chine avait cruellement besoin à cette période d’être réformée au vu de certaines coutumes barbares pour les femmes. Saviez-vous qu’une femme veuve avait l’interdiction de se remarier au risque d’être châtiée et reniée de la société ? Qu’une femme adultérine était brûlée vive? Que des milliers d’enfants ont été mariés contre leur gré?
L’atmosphère bouddhiste est omniprésente dans ce livre apportant une dimension plus spirituelle à cette histoire, on rencontre des moines, on parle de la réincarnation, on prie beaucoup, on concocte des potions « magiques », on consulte des voyants, on regarde la vie avec un troisième œil, on consulte aussi des spécialistes de l’horoscope pour les évènements importants, les rêves ont à raconter, tout comme l’heure d’une naissance et tant d’autres choses… On retrouve également les maximes du mandarin Chu représentant pour Julie le modèle de conduite le plus élevé et pouvant intéresser le lecteur d’Occident comme elle l’écrit en page 94, en voici quelques unes :
– « N’écoute jamais la femme qui dit du mal de tes parents, de ton frère ou de ta soeur, car ceux-ci font partie de toi comme tes bras et tes jambes. »
-« En toute chose, sois prévoyant. Pense à couvrir ton toit avant que tombe la pluie et à creuser ton puits avant que tu aies soif. »
-« Si tu fais du bien, ce n’est pas pour que tu ailles t’en vanter. Mais le bien que t’ont fait les autres, ne l’oublie jamais. »
En somme, j’ai été séduite par ce livre pour son immersion profonde dans l’histoire chinoise des années cinquante ; pour son aspect informatif sur les mœurs et coutumes de l’époque ; ainsi que pour le panorama historique qui a enrichi ma connaissance globale. J’ai passé plusieurs jours aux côtés de Julie depuis sa naissance jusqu’à son ascension comme pianiste renommée mais entre les deux, beaucoup d’épreuves ont jalonné cette histoire fascinante malgré quelques longueurs vers la fin.