Il y a des livres qui n’arrivent pas par hasard dans votre vie. Car certaines épreuves vous amènent ailleurs, dans des contrées aussi noires que vraies. Le gardien de l’inoubliable, le titre est déjà une petite merveille, la couverture aussi poétique que puisse l’être ce roman qui bouscule les frontières entre imaginaire et réalité.
Tristan Karadec est un jeune enfant singulier, à l’imagination débordante. Totalement incompris par ses parents dépourvus d’amour pour cet enfant étrange, Tristan va grandir grâce à des rencontres charnières. Résilience et imagination sont à mon humble avis les plus importantes armes que l’on peut offrir à un enfant afin qu’il se construise malgré les marécages de la vie. Les souffrances de cet enfant incompris sont palpables, ses envies de rêver, de faire de ses rêves la réalité m’ont laissée songeuse. Ses refuges feront de lui le gardien de l’inoubliable.
Ne jamais oublier cet ami japonais Marc rencontré sur les bancs de l’école qui avec son kimono faisait danser le sable mais un jour Marc s’en va. Il deviendra Monsieur Kurosawa son ami intérieur qui l’aidera à grandir. Puis arrivera Jacob, un vieux marin qui à bord de son voilier Le bel-ami lui apprendra à aimer la mer, à s’aimer lui-même, à accepter qu’on voit en lui Tristan, un enfant bon. Il y aura aussi Sultan, ce petit chiot Border-Collie rescapé du Bel-ami et deviendra l’ami précieux de Tristan. Mais comme Marc, Jacob disparait à son tour léguant à Tristan son voilier ce qui amène suspicions malsaines chez ses parents. Il sera alors vu chez un psychiatre Marc-Antoine Donnadieu avec qui Tristan pourra être lui-même. « Enfant, les parents me disaient toqué, mais je suis certain que si je ne l’avais pas été, ils m’auraient rendu fou. Pour de vrai. »
En grandissant, dans ses études d’histoire de l’art, Tristan s’intéressera à un sculpteur Charles-Félix Lorme, mort depuis environ un siècle.
Ses recherches vont nous amener dans des contrées très complexes, sur la rive de la mythologie grecque par exemple ou encore dans des tirades des Métamorphoses d’Ovide. J’avoue que mon état actuel et ma petite concentration m’ont rendue peu encline à suivre l’enquête de Tristan.
Cette frontière borderline entre imaginaire et réalité n’a pas été toujours très simple à suivre. C’est un livre ici onirique, très poétique, initiatique certainement puisqu’on suit l’évolution de Tristan, ses amis partis trop vite mais tellement présents dans son coeur, dans sa tête, sa grand-mère qui l’accueillera et lui donnera un peu de valeur et puis son frère qui n’aura de cesse de veiller sur ce petit frère incompris.
J’ai rencontré dans ce livre des passages de toute beauté qui ont fait jaillir chez moi de fortes émotions. Certains écrivains ont cette faculté à parler de nous, petites gens avec une précision poétique spectaculaire. Marie-Laure de Cazotte en fait indéniablement partie.
Voyez donc ces extraits qui m’ont fait chavirer:
« Rien n’est plus pénible qu’un tête-à-tête avec soi quand son soi est un siamois dont le crâne gauche est rempli de mirages, d’espoirs flous, et cogne sur le droit qui voudrait bien engranger un peu de tendresse, tout en se méfiant du monde entier ».
« A vingt ans j’ignorais que l’enfance marche ad vitam aeternam à nos côtés, qu’elle ne cesse de s’écrire en nous ».
« Je pense que nos mémoires sont des cieux dans lesquels nos immenses bonheurs et nos grands cataclysmes sont des étoiles, des repères de navigation et lorsque je songe à Jacob, je le vois comme une constellation et un cheval ailé rescapé de l’abattoir parental. »
D’autres extraits aussi beaux, aussi forts parsèment ce livre que je vous recommande si vous êtes un petit ou grand matelot attiré par les vagues, si vous vous sentez attirés par les mirages dans le murmure du vent face à une enfance piétinée, par le parfum des rêves quand ils viennent vous bercer pour vous tenir debout.
Orphée, le Minotaure, le labyrinthe de Dédale et d’autres mythes vous tiendront en attention si ces sujets ne vous effraient pas.
N’hésitez pas à découvrir ma page consacrée aux livres relatifs aux traumas de l’enfance, dans chacun d’eux, il y a peut-être un peu de vous, de votre enfant intérieur.
https://coccinelledeslivres.be/trauma-de-lenfance/