4è de couverture
La Coccinelle des livres
La malentendue
Extrait
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A la première gifle, il faut partir. Et parfois il est déjà trop tard. C’est ce que j’ai appris, bien après. Mais l’emprise avait planté ses crocs dans la matière gélatineuse de mon cerveau, doucement, presque gentiment, implacable et irrémédiable, et n’allait plus me lâcher. Ainsi que l’amnésie, ou le déni, sa fidèle compagne.
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Première page
Je me mords la langue. La salive afflue dans ma bouche.
L’heure approche. L’excitation s’empare de toutes les cellules de mon corps. Sous mon crâne, chaque neurone bouillonne et se dilate.
Je revêts ma robe. Je l’enfile doucement, je fais glisser le tissu avec soin, j’ajuste l’épitoge, j’aplatis le rabat. Je me coule dans la peau d’une autre. Il me reste quinze minutes pour me concentrer, préparer ma voix, revoir mentalement ma plaidoirie.
Ces quinze minutes me sont précieuses, un moment suspendu que je préfère à tout le reste; à cause de cette lucidité fébrile qui me saisit, l’impression de vivre à fond durant cette courte plage de temps. Certes j’éprouverai tout à l’heure la griserie de la plaidoirie, mais au centre de l’arène je me bats, je ne réfléchis plus.
Chronique
Un roman ô combien nécessaire pour lever le voile sur les violences conjugales et dénoncer le quotidien d’une femme sur cinq en France. Que la révolte guette, que la colère s’habille en reine, que les yeux ne se ferment plus jamais.
Yolaine Destremau a reçu le prix de l’héroïne engagée 2022 pour La malentendue et c’est amplement mérité ! Comment prédire qu’un roman sera un coup de coeur ? Il suffit pour moi de lire quelques pages et de ne plus rien voir autour de moi, ni le temps, ni les heures qui défilent. J’ai senti mon attention tout entière portée vers ce roman, la gorge serrée, l’émotion au bord des yeux. Ce livre et moi, nous ne faisions plus qu’un.
Cécilia est une jeune femme pétillante, joyeuse, dynamique, optimiste. Tout va très vite lorsqu’elle rencontre Abel. Ils tombent follement amoureux et se marient alors qu’ils se connaissent à peine. Cécilia trop amoureuse ne veut pas voir, ni les remarques désobligeantes ni les réactions disproportionnées ni les amis qui s’en vont ni les paroles mesquines presque haineuses. Cécilia pense que cela va passer, elle redouble d’efforts pour que son homme soit heureux et serein. Mais plus le temps passe, plus la situation s’aggrave. Jusqu’à une première gifle pour des verres mal rangés. Encore ici, Cécilia se dira que c’est pareil dans tous les couples, les disputes, les colères, une main levée, c’est le lot de tous. Elle minimise, elle ferme les yeux, elle croit aux promesses, elle oublie.
Certaines scènes psychologiques sont terribles, je pourrais vous en parler longtemps mais hors de question que je vous en dise plus. Ce qui est effrayant c’est cette escalade sans fin dans la violence, le sabotage de l’autre, l’emprise, l’emprisonnement, le piétinement de la confiance, du respect, de l’amour. C’est laid, c’est sale, ce sont des images par dizaine de scènes de maltraitance avec en toile de fond cette impuissance pour la victime de se libérer de son bourreau. Mieux vaut se voir comme une héroïne plutôt qu’une victime. Et d’une héroïne, Cécilia en a tous les visages. Il en faut de la force, du courage pour rester auprès d’un tel tortionnaire, ou bien est-ce la peur qui tient les chevilles, est-ce le souvenir de jours heureux bercés d’amour qui tient à la gorge et ferme les portes.
Si vous ouvrez ce livre, vous ne pourrez plus le lâcher. Peut-être que comme moi, vous cheminerez à côté de Cécilia, tomberez avec elle, pleurerez pour elle. Car que devient-on lorsqu’on essuie constamment brimades et coups? Une malentendue. La malentendue.
Le sujet des violences conjugales est traité ici avec beaucoup de pudeur et d’émotions. C’est fin, travaillé et immersif. Rien n’est laissé au hasard. L’histoire se déroule sous nos yeux, les scènes sont heurtantes, choquantes, troublantes, effrayantes. Et tellement d’actualité. L’écriture de Yolaine est imagée amplifiant les impressions visuelles plus que troublantes.
» Il y avait encore ces brefs moments heureux. Maintenant je sais, c’était juste l’emprise qui grignotait la matière. Et elle se régalait. De temps à autre elle se calmait, m’octroyant un peu de répit, puis elle reprenait son travail de coléoptère, déposant ses larves et ses œufs dans les moindres sillons de mon cortex. »
« Je m’arrête à côté d’un pin, avec sa plaie au flanc, qui pleure ses larmes de résine. Il verse sa sève, tel un soldat blessé. J’appuie mon front à l’écorce rugueuse. Entre frères d’armes. »
Le chemin de Cécilia pour accepter sa condition de femme battue prendra du temps, héroïne-victime, c’est confus, la frontière est mince, brumeuse, puis il y a ces rêves qu’on n’a pas envie de piétiner, les enfants qui naissent, l’espoir qui revient nous charrier. Ceux qui se disent que les femmes battues sont lâches et passives, je leur conseille de lire La malentendue car on comprend mieux grâce à ce livre combien il est difficile de se libérer d’une relation toxique. Personne n’est préparé à voir le mal, à le vivre, à le subir et à y croire pour s’en libérer.
Retrouvez ma rubrique A la croisée des maux consacrée aux livres traitant des violences conjugales :
L’autrice: Yolaine Destremau
Yolaine Destremau a passé une enfance nomade entre l’Afrique du sud, l’Egypte et l’Argentine. Elle vit maintenant entre Paris, la Bretagne, et l’Egypte ou elle séjourne souvent dans un village à côté de Louxor, Gourna, sur les bords du Nil.
Après des études d’Histoire de l’Art à Paris, elle a exercé le métier d’artiste peintre pendant une dizaine d’années et a exposé à maintes reprises à Paris et en province.
Parallèlement elle a été lectrice dans plusieurs maisons d’édition et traductrice d’anglais.
Aujourd’hui elle se consacre à l’écriture.
Plus encore par ici
Extrait de Pourquoi écrit-on
http://yolaine-destremau.com/pourquoi-ecrit-on.html
Parce qu’on se sent à l’étroit dans sa propre existence et que l’écriture offre la possibilité d’en repousser les limites, d’accéder à d’autres vies.
On écrit pour ouvrir des fenêtres, verrouiller des portes, réparer des blessures, apaiser les tumultes, combler un vide, fixer des moments heureux, faire taire certaines voix et en faire chanter d’autres, pour s’éloigner des événements, et les réinventer avec ses propres mots.
On écrit aussi pour le plaisir d’une phrase juste, pour sa musique.
On écrit pour mieux vivre. Pour mieux comprendre, mieux supporter la vie, mais aussi pour la décrypter, la détrousser, fouiller ses moindres replis, ne rien perdre de l’extraordinaire éventail de sensations qu’elle propose.
Retrouvez Yolaine Destremau sur Instagram: https://www.instagram.com/yolainedestremau/
Commentaires
28 commentaires
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Fabienne
le 25/02/2023 à 10:02Je découvre avec plaisir votre blog. Bravo pour votre analyse percutante et le désir d’en savoir plus que vous suscité. J’y reviendrai, continuez-
magali
le 25/02/2023 à 12:02Bonjour Fabienne, Quel gentil message que voilà ! Cela me fait bien plaisir. Merci merci. À bientôt alors.
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Yolaine
le 23/02/2023 à 14:02Merci merci 🙏🙏-
magali
le 24/02/2023 à 07:02Merci à vous 🌹
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Sabine
le 21/02/2023 à 19:02Coucou Magali, je l’ai dans ma wl. Belle continuation avec toi blog, j’y reviendrai-
magali
le 22/02/2023 à 06:02Merci Sabine, c’est bien gentil à toi.
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Magielivres
le 19/02/2023 à 21:02Trop chouette ton blog Magali, je te souhaite une longue route. A bientôt.-
magali
le 20/02/2023 à 11:02Merci beaucoup Micheline, tu es adorable 🌺
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Sylvie
le 19/02/2023 à 11:02Une lecture dont on sent qu’elle t’a touchée en plein cœur, et je sais qu’elle en ferait de même pour moi. C’est un sujet qui a concerné deux femmes de ma famille très proche, je comprends donc très bien la difficulté à se défaire de l’emprise. Je viens de lire un livre très court mais également poignant sur le même thème : Gris comme le cœur des indifférents, narré par la fille de la victime. Tu en as peut-être déjà lu des retours, le mien sera publié demain, j’avais besoin de souffler un peu après la lecture…-
magali
le 19/02/2023 à 14:02Je suis allée voir le résumé du livre qui t’a chamboulée. Il est intéressant car il fait parler l’entourage proche, ici la fille. Je n’ai encore rien lu de tel. Je vais sûrement l’acheter. Merci de m’en avoir parlé 🙏. As-tu été voir dans ma rubrique « À la croisée des maux » ma page sur les violences conjugales ? C’est terrible cette réalité, toi tu la connais dans ton cercle d’amis, moi c’était mon voisin en face au regard de tous qui maltraitait femme et enfants. Mais ils ont eu le courage de partir. Maintenant il vit tout seul.
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Ysa
le 19/02/2023 à 09:02Ton résumé donne trop envie de le lire, il est dans ma wishlist-
magali
le 19/02/2023 à 14:02J’espère qu’il te plaira… le sujet des violences conjugales est une réalité bien triste malheureusement 😔
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Dominique
le 18/02/2023 à 08:02Une très belle critique Magali sur un sujet sensible. J’avoue que le thème ne me tente pas trop mais c’est bien d’en parler. Et je me répète mais ton blog est super bien fait 🙂-
magali
le 18/02/2023 à 11:02Merci beaucoup pour ton retour Dominique. Ça me fait plaisir et m’encourage. Pour ce livre, je comprends qu’il faut s’intéresser au sujet des violences conjugales pour le regarder de plus près.
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Chrystèle
le 16/02/2023 à 14:02Un très beau retour sur un livre qui me semble percutant (et me fait penser, concernant le thème, à Ceci n’est pas un fait divers de Besson). UN sujet délicat, un livre sans doute nécessaire. Je ne connaissais ni le livre, ni l’auteure, merci pour cette découverte Magali (et là j’envoie mon commentaire et je sais que ton superbe blog va me montrer d’autres livres sur le même thème, trop classe)…-
magali
le 16/02/2023 à 20:02Merci Chrystele, je compte lire le Besson. J’espère l’apprécier car les livres de cet auteur ne sont pas ma tasse de thé. Affaire à suivre. Ici le roman de Yolaine est haletant au possible, bien écrit avec beaucoup de psychologie, de sensibilité et de réalisme. Je te le recommande si le sujet t’intéresse.
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Mimi de books story
le 16/02/2023 à 08:02Bravo pour ta chronique, tu me tentes-
magali
le 16/02/2023 à 20:02Merci mimi ♥️ Ce livre est addictif au possible. N’hésite pas à le découvrir.
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Hedwige
le 15/02/2023 à 22:02Comme toujours tu en parles avec tant de coeur qu’on a envie de se jeter sur ce livre, mais j’ai déjà lu tant de livres sur les violences conjugales que je vais postposer cette lecture que je note néanmoins. Merci Magali pour cette découverte.-
magali
le 16/02/2023 à 07:02Je te comprends. Il y a deux ans j’ai lu tant et plus sur ce sujet. J’avais même l’impression que c’était le sujet en vogue. Ça m’a fait du bien de ne plus rien lire là dessus. Peut-être que ce sera pareil pour toi.
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corinne
le 15/02/2023 à 18:02Très belle critique pour un thème sensible et d’actualité.-
magali
le 15/02/2023 à 18:02Merci Corinne. Ce livre m’a glacée le sang… je te le recommande.
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Marie-Pierre
le 15/02/2023 à 17:02Une chronique sensible, touchante sur les relations conjugales dévastatrices. Après avoir terminé hier de lire « Ceci n’est pas un fait divers » de Philippe Besson, je ne me sens pas d’attaque pour lire un livre sur la même thématique bien que ton billet y incite. Mais je le note pour plus tard. Merci Magali !-
magali
le 15/02/2023 à 18:02Je compte lire le dernier Besson. Je l’ai réservé à ma bibliotheque. J’espère que je vais aimer ce livre car les derniers romans de cet auteur comme Le dernier enfant ne m’ont pas séduite. Affaire à suivre.
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Marjo
le 15/02/2023 à 15:02Quel beau retour. On sent que ce roman t’a touchée en plein cœur ❤-
magali
le 15/02/2023 à 18:02Ce livre est empreint de réalisme et m’a touchée en plein cœur. 💞💞💞💞
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Victoria BONUS
le 15/02/2023 à 10:02Quel retour ! Ce livre t’a inspiré et ta chronique me semble à la hauteur de cette œuvre : percutante. Je le note soigneusement.-
magali
le 15/02/2023 à 10:02Merci pour ta confiance. Tu verras, ce livre est un petit bijou. On le lit sans pouvoir s’arrêter.
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