La Coccinelle des livres

Dominique Sampiero

Poète, écrivain, scénariste

 

 

Il y a des rencontres un peu magiques dans la vie.

Je me souviens comme si c’était hier de cette après midi à chiner sur une brocante en ville. Mettez moi pleins de livres devant mes yeux, je fouille chaque centimètre devant moi. Et je le vois lui, ce livre à la couverture jaune : Les encombrants. Dominique Sampiero. Je lis les premières pages. Je suis embarquée, sous le charme. L’écriture toute en beauté s’étend comme un paon faisant la roue.

Je parle du livre sur Instagram, Dominique me lit, me parle et m’envoie alors un autre livre que je savoure tout autant: Trois tranches de pain perdu.

Dominique Sampiero est né en 1954, instituteur depuis ses 22 ans, il écrit des poèmes, quelques livres également. Il a reçu de nombreux prix pour ses romans, et notamment en 2014, le Prix Robert-Ganzo pour l’ensemble de son œuvre et notamment pour son recueil La Vie est chaude (Bruno Doucey, 2013).

Je vous partage plus bas mes avis de lecture et extraits sur les trois livres lus de ce magicien du beau.

encombrants

Les encombrants

28/12/2019

Les encombrants


Grasset; 2009.

4è de couverture

Un petit village du nord de la France. Tout le monde se connaît. Tout le monde feint d’ignorer ce qu’il sait des autres. Jean l’orphelin a grandi dans les bois voisins. Devenu adulte, il est l’idiot, qu’on injurie ou qu’on bénit. Il est un peu comme ces encombrants dont on se débarrasse sur le trottoir, une fois par an, le jour des monstres, et dont il meuble sa baraque perchée sur la fourche d’un arbre… au pied duquel, un matin, on retrouve le corps sans vie d’une jeune fille.

Mon retour par ici

 

Extrait Les encombrants


« Comme la brume et les nuages, Dieu aime le sommet des arbres. Il a créé les troncs et les branches basses, des écorces rugueuses faciles à saisir, et les enfants y grimpent de toutes leurs mains. Il endort ces jeunes ouailles sur la fourche la plus large pour qu’elles apprennent dans leurs rêves à voler. Puis le diable les réveille en sursaut et les incite à cracher sur les gens qui passent. Quand ils visent bien, le diable rit dans son terrier et avale toute une couvée de perdreaux en rotant. Ceux qui ne croient ni en Dieu ni au diable abattent les arbres à la tronçonneuse. »

La-Petite-presence

La petite présence

10/03/2020

La petite présence


Grasset; 2006

4è de couverture

Depuis ton départ, j’ai décidé de te parler chaque jour à voix haute, comme dans un refrain. les bribes d’une chanson, de tenir à toi. en secret, dans un jardin de toboggan et de ducasse, quoi qu’il arrive, du matin au soir, au-delà du raisonnable.  » Les parents séparés, la petite fille est partie vivre avec sa mère. Dominique Sampiero raconte la solitude infinie qui succède à la joie des retrouvailles, au fil des week-ends et des vacances, la chaleur des souvenirs quand la peine est trop grande,  » la petite présence  » qui fait naître le manque comme elle le console. Le récit, écrit entre prosaïsme du quotidien et poésie intime, du difficile cheminement d’un homme vers une vie nouvelle, pourvu qu’il accepte qu’elle soit la sienne.

Mon retour par ici

Extrait La petite présence


« Je t’ai perdue dans le chaos du quotidien, et dans mon cœur tu prends la place d’un immense pré sous l’orage. Mes caresses sont des branches arrachées aux arbres, tes baisers, des nids abandonnés par les oiseaux, ma tristesse, une immense flaque cachée sous l’herbe. »

 

 

Trois tranches de pain perdu


Cours toujours ; 2019

 

 

Mon retour coup de coeur


Ah Dominique, je t’ai trouvé au hasard d’une brocante en ville belge, avec Les encombrants et tu m’as offert une de mes plus belles lectures, à la lisière d’un autre monde où les mots forment des colliers de perles qui tintent sous la mélodie du beau.

Trois tranches de pain perdu, tu me l’as gentiment offert un jour. J’ai attendu longtemps avant de te relire. Je t’ai retrouvé hier soir et je n’ai pu te poser avant que ton pain perdu ait ma peau.

Portrait chinois 

Dominique Sampiero

Quels sont les 3 livres qui ont marqué ou façonné votre vie.

 

Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemigway. À 12 ans. J’étais dans la barque avec lui. Les filins d’acier m’arrachaient la paume des mains et, caché sous les couvertures pour pouvoir finir ce roman, la nuit, à la lampe de poche, je suais à grosses gouttes, tiré par l’espadon géant.

La grande Beune de Pierre Michon. À 20 ans. Un livre tendu comme la corde d’un arc. Une passion qui prend les mots du mystère dans la pureté violente d’être au monde et de se débattre.

Le troisième c’est le livre à venir, celui que je n’ai pas encore lu !

 

Comment est arrivée votre passion pour l’écriture ? Racontez-nous votre parcours a la croisée des mots. 

 

Je m’ennuyais dans ma vie d’enfant. Je faisais tout pour faire ce que les adultes attendaient de moi parce que j’aimais faire plaisir. J’avais l’impression de ne pouvoir compter que sur moi-même et je me sentais vide. Alors j’ai commencé de longues conversations avec moi-même. Cette parole intérieure, intime, intense dure encore aujourd’hui et de temps en temps apparaissent des textes, des livres. Cette parole est comme une personne à mes côtés. Mon ombre et ma lumière tranquillement emboîtées.

 

Quelle est la genèse de votre premier livre ou premier recueil ? 

 

Ciel ! Mon premier livre se chuchote dans le ventre de ma mère. Elle reçoit tous les jours une lettre de mon père qui fait son service militaire. Dix-huit mois à l’époque. Ma mère s’installe dans un coin tranquille et lit ces 517 lettres à voix haute. Je suis convaincu que dans mes eaux fœtales me parviennent les mots mélangés aux émotions de cette jeune mariée enceinte jusqu’au cou. Vous le savez bien, écrire s’adresse toujours à quelqu’un qui n’est pas là. Et qu’à force, les mots engagent notre propre présence à l’accueil de tout ce qui est vivant.

 

Quel est votre livre ou recueil qui vous est le plus précieux ? Expliquez-nous. 

 

La chambre au milieu des eaux. Aux éditions lettres Vives. Mais aussi, le maître de la poussière sur ma bouche, même éditeur. Parce que ce sont deux livres essentiels de l’enfance. Deux livres qui m’enracinent dans la figure du grand-père et dans les forces telluriques de la nature, le bocage de l’Avesnois où j’ai grandi. Mais je suis toujours attaché également aux deux derniers parus… Tout simplement parce que ce sont comme de « jeunes enfants » que je lâche dans le monde : Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées, aux éditions de Corlevour, trois années d’écriture et de travail sur ces poèmes. Et un petit dernier attachant à la Boucherie littéraire, Le wagon qui ne voyage que la nuit, juste parce que c’est l’enfance d’une femme marocaine qui m’a beaucoup, beaucoup touché…

 

Quels sont les 3 couleurs-adjectifs de votre personnalité 

 

Bleu ciel

Rouge sang

Terre de sienne

 

Votre lieu refuge où vous vous sentez heureux ? 

 

La page blanche. Ou les petits chemins de campagne de l’avesnois : les voyettes. Se sentir heureux comme vous dites, pour moi, c’est se sentir vaste. Infini. Ce sentiment me vient aussi quand je serre l’un de mes enfants dans mes bras. Ou ma compagne. Ou quelqu’un qui pleure et qui s’abandonne. Je me refugie dans la blessure de l’autre pour nous bercer. La lumière dans les arbres aussi est un lieu où habiter du regard.

 

Quel est pour vous le plus beau mot de la langue française ? Pourquoi ? 

 

J’écris parce que je rêve d’un mot qui n’existe pas, un mot qui serait mon père, ma mère, et qui contiendrait toute ma vie.

 

Tu m’as appris à faire les cent pas

dans ta forêt empaillée de murmures

 

tu es mon bout de ficelle pour survivre

à ma genèse, à l’avenir de mon apocalypse

et à tous mes naufrages, toi mon mot

mon pauvre mot de chair

 

Êtes-vous, comme bon nombre de poètes, un fin observateur ? Qu’est-ce que vous aimez le plus dans cette contemplation ? 

 

Me fondre dans ce que je regarde. Une sorte de petite extase contemplative. Tout à coup, habiter son regard. Je pense à un livre d’Alexandre Hollan, qui, toute sa vie a peint, dessiné, apprivoisé des arbres : je suis ce que je vois aux éditions Le temps qu’il fait.

 

Ou trouvez-vous votre inspiration ? Vous avez écrit tant et plus ! 

 

Avec Bernard Noël, j’ai eu la chance d’écrire un livre d’entretien paru chez P.O.L, intitulé : l’espace du poème. Il y a cette quête du lieu de l’écriture entre dedans et dehors. Au carrefour d’images mentales et de phrases que j’entends et qui débarquent dans ma vie. Ecrire un poème répond à une question qu’on n’avait pas posée me disait Karl Norac. Ecrire un poème ouvre un espace dans la langue qui laisse la langue nous parler autrement. J’ai besoin d’écrire, c’est comme jouer d’un instrument. Même souffle, même souplesse, entre la bouche et les doigts, l’esprit et le silence.

 

Qu’est-ce qui vous touche et vous effraye le plus dans la vie ? 

 

Le désir du pouvoir.

 

Auriez-vous en quelques lignes poétiques un message pour tous ces gens qui souffrent, de solitude par exemple ? 

 

Laissez toujours la lumière allumée dans une pièce de la maison. Parlez seul et à voix haute. Dormez sous une énorme couette mais fenêtre ouverte. Laissez la nuit entrer nue dans votre lit. Caressez votre chat en lui lisant des poèmes. Ou celui du voisin. Versez un café au facteur quand il passe vous livrer un colis. Donnez-lui des nouvelles de son âme. Prenez du temps avec le temps. Parlez-lui comme à un ami. Il le deviendra. Imaginez que mourir, c’est comme s’endormir en tenant la main de quelqu’un qu’on aime. Même absent.

 

Auriez-vous un texte à nous offrir pour nous mendiants et esclaves de la littérature ? 

 

Lettre à la beauté

cloîtrée dans

nos regards

 

Je vous écris. Chaque jour qui passe, je vous écris.

Chaque matin, chaque nuit, je vous écris, à vous seule.

À chaque frisson de lumière.

Vous comprenez ?

 

À chaque éclosion de l’instant tombé en poussière

dans votre pollen. Réglant mon allure sur mes manques

mes maladresses, mon aveuglement.

Ma grande capacité à l’oubli.

 

Je ne sais rien sur votre existence

à part le mystère qui m’attache à vous.

J’écris à une tendresse qui n’existe pas, végétale

et suppliante, celle, transparente et invisible

à l’écoute, aux abois, dans l’attente inouïe du manque

patience assise et blottie contre moi sur la chaise

où je meurs à petits feux, âme des hautes herbes

brûlées par le soleil.

 

Par leurs aboiements, des chiens

crèvent la chaude haleine des rues

ce matin, et vous, d’un clignement de lumière

vous les faites taire dans la poussière d’un coma de paille

ventres affalés sur la fraîcheur des seuils en pierre bleue

abandonnés comme des comètes à leur animalité solaire

abattus, exténués de courses entre les ronces

vautrés contre le bois mouillé des granges

où ils lèchent leurs blessures.

 

Je bois votre ombre claire à perte de vue

dans ce pays Madame, où toute syllabe

ouvre le souffle au corps d’amour

à des furies déchirantes et faillibles

à des écumes de salive

au miel houblon des ruches.

 

Un poème glisse de votre poitrine vers la mienne

au centre du monde où j’ouvre les yeux.

Mes mains creusent votre lit avec tendresse

dans la page venteuse des forêts, foin des meules

inventent des enlacements, des étreintes insensées

et dans le déboulé des phrases, déposent ma chair

en verger sous le ventre d’une présence tremblée

comme la bouche des flammes.

 

Je vous écris ma fauve présence dévorant la dévoration

qui m’incline ici dans le boisé de votre neige, braconné

de l’intérieur par votre fougue de sel et de menthe

brûlé aux poignets, aux mains, puis au contact

de ma paume sur le papier par tout ce que vous dites

tout ce que vous ne dites pas

incantation glissée sur mon palais

qui ronge mes liens, dénoue ma langue vers vous

dans le remugle de chair rose, sexe ouvert mot à mot

au tremblement de ma dextre contre le papier

enrobant ma langue au fourreau de vos cuisses

salivant dans la rosée de votre blessure

bouche à bouche avec votre creux mouillé

du jouir de l’ici sur mes lèvres.

 

Je vous écris et j’entre en vous, là où me glisser

me dissoudre règnent en fruits rouges sur le néant.

Je vous écris pour mordre l’étoile blanche de la page

lui faire soupirer la vastitude, dans le suintement

de ses bouffants et de ses rives

avalant mes sanglots comme des perles

des nacres tremblantes, giboulées

de chagrin oubliés.

 

Quelque chose près du souffle s’enroule

à tout ce qui passe.

Puis je crache ce moi d’aurore inquiétante et vague.

 

Un peu de corps

me revient en guise de chair pour la prairie

par le déboulé de mes enfances

à quatre pattes dans l’herbe.

Plus rien des frondaisons ne m’ignore

et je pense enfin à ce nous intime des avoines

et du colza.

Dominique Sampiero

Janvier 2023

Nouveautés littéraires de Dominique Sampiero parues en janvier 2023

 

  • On écrit un poème pour embrasser au Loup bleu
  • Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées aux éditions de Corlevour
  • Le wagon qui ne voyage que la nuit à la Boucherie littéraire

Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées


4è de couverture

 

« Le beau guérit. Certaines philosophies l’affirment et l’attestent. La poésie l’enclenche. Il faut entendre par beau des liens qui n’existaient pas. Ce qui surgit dans le regard nous déplie, nous décrispe vers cet espace, interstice entre l’âme et le corps, où s’ouvre, dans le poème, non comme une issue de secours, mais plutôt une porte vers l’ici maintenant. En trois seuils, cette quête dans le livre passe par l’atelier d’un peintre. Puis l’atelier du mot. Et enfin l’atelier de l’autre.»

 

 

Le wagon qui ne voyage que la nuit


Parution le 3 mars 2023

 

Sollicité par un centre social d’une ville du Nord pour un atelier de
paroles et d’écriture, Dominique Sampiero a proposé le thème de
l’enfance après avoir rencontré les 9 femmes marocaines et algériennes
qui désiraient y participer.
Sur une vingtaine de séances de 2 heures, il a invité le groupe à parler
en agissant : coudre, faire la cuisine, manger, se coiffer, se maquiller…
pour que les gestes de leur quotidien soient le support de la remontée
des souvenirs.
Un jour, l’une des participantes l’a pris à part en lui confiant qu’elle
aimerait lui raconter son enfance en privé. Elle craignait que les autres
se moquent d’elle et utilisent son passé pour la rabaisser.
Il a donc enregistré le récit en atelier individuel. Son père avait fui à l’âge
de 16 ans la guerre d’Algérie en 1954 pour chercher du travail dans le
Nord de la France….

 

 

C’est le récit de cette histoire, retravaillé pour ce livre, qui raconte l’enfance de
Djamila dans un bidonville de la région de Maubeuge, avec une grande simplicité.
Son père, migrant marocain des années 60, a racheté un wagon désaffecté sur un
terrain vague de la S.N.C.F., pour y loger toute sa famille. Elle grandit-là, dans cette
communauté des wagons, et ses souvenirs sont remplis de moments intenses et
lumineux : elle vit une sorte d’enfance buissonnière. Elle fuira un mariage forcé avec
une détermination rare pour l’époque.
Ce recueil est accompagné de 16 illustrations couleurs de Zaü.

 

Son père débarque d’Algérie
à seize ans
pour trouver du travail en France
parce qu’au pays, c’est la guerre.
Et parce qu’en France, on manque
de main d’œuvre.

Ses parents lui ont choisi
un joli prénom.
Djamila est née dans une boîte à
chaussure.
Taille 42. Les pieds de son père.
Entourée de coton. Au coin du feu.
Comme un oiseau tombé du nid.
Elle a grandi dans un wagon.
C’était comme un village

 

 

 

Il y avait les familles du wagon gris
les familles du wagon blanc
les familles du wagon vert
et du wagon jaune.
Les familles des wagons à bestiaux
on ne leur parlait pas.

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