Quels sont les 3 livres qui ont marqué ou façonné votre vie.
Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemigway. À 12 ans. J’étais dans la barque avec lui. Les filins d’acier m’arrachaient la paume des mains et, caché sous les couvertures pour pouvoir finir ce roman, la nuit, à la lampe de poche, je suais à grosses gouttes, tiré par l’espadon géant.
La grande Beune de Pierre Michon. À 20 ans. Un livre tendu comme la corde d’un arc. Une passion qui prend les mots du mystère dans la pureté violente d’être au monde et de se débattre.
Le troisième c’est le livre à venir, celui que je n’ai pas encore lu !
Comment est arrivée votre passion pour l’écriture ? Racontez-nous votre parcours a la croisée des mots.
Je m’ennuyais dans ma vie d’enfant. Je faisais tout pour faire ce que les adultes attendaient de moi parce que j’aimais faire plaisir. J’avais l’impression de ne pouvoir compter que sur moi-même et je me sentais vide. Alors j’ai commencé de longues conversations avec moi-même. Cette parole intérieure, intime, intense dure encore aujourd’hui et de temps en temps apparaissent des textes, des livres. Cette parole est comme une personne à mes côtés. Mon ombre et ma lumière tranquillement emboîtées.
Quelle est la genèse de votre premier livre ou premier recueil ?
Ciel ! Mon premier livre se chuchote dans le ventre de ma mère. Elle reçoit tous les jours une lettre de mon père qui fait son service militaire. Dix-huit mois à l’époque. Ma mère s’installe dans un coin tranquille et lit ces 517 lettres à voix haute. Je suis convaincu que dans mes eaux fœtales me parviennent les mots mélangés aux émotions de cette jeune mariée enceinte jusqu’au cou. Vous le savez bien, écrire s’adresse toujours à quelqu’un qui n’est pas là. Et qu’à force, les mots engagent notre propre présence à l’accueil de tout ce qui est vivant.
Quel est votre livre ou recueil qui vous est le plus précieux ? Expliquez-nous.
La chambre au milieu des eaux. Aux éditions lettres Vives. Mais aussi, le maître de la poussière sur ma bouche, même éditeur. Parce que ce sont deux livres essentiels de l’enfance. Deux livres qui m’enracinent dans la figure du grand-père et dans les forces telluriques de la nature, le bocage de l’Avesnois où j’ai grandi. Mais je suis toujours attaché également aux deux derniers parus… Tout simplement parce que ce sont comme de « jeunes enfants » que je lâche dans le monde : Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées, aux éditions de Corlevour, trois années d’écriture et de travail sur ces poèmes. Et un petit dernier attachant à la Boucherie littéraire, Le wagon qui ne voyage que la nuit, juste parce que c’est l’enfance d’une femme marocaine qui m’a beaucoup, beaucoup touché…
Quels sont les 3 couleurs-adjectifs de votre personnalité
Bleu ciel
Rouge sang
Terre de sienne
Votre lieu refuge où vous vous sentez heureux ?
La page blanche. Ou les petits chemins de campagne de l’avesnois : les voyettes. Se sentir heureux comme vous dites, pour moi, c’est se sentir vaste. Infini. Ce sentiment me vient aussi quand je serre l’un de mes enfants dans mes bras. Ou ma compagne. Ou quelqu’un qui pleure et qui s’abandonne. Je me refugie dans la blessure de l’autre pour nous bercer. La lumière dans les arbres aussi est un lieu où habiter du regard.
Quel est pour vous le plus beau mot de la langue française ? Pourquoi ?
J’écris parce que je rêve d’un mot qui n’existe pas, un mot qui serait mon père, ma mère, et qui contiendrait toute ma vie.
Tu m’as appris à faire les cent pas
dans ta forêt empaillée de murmures
tu es mon bout de ficelle pour survivre
à ma genèse, à l’avenir de mon apocalypse
et à tous mes naufrages, toi mon mot
mon pauvre mot de chair
Êtes-vous, comme bon nombre de poètes, un fin observateur ? Qu’est-ce que vous aimez le plus dans cette contemplation ?
Me fondre dans ce que je regarde. Une sorte de petite extase contemplative. Tout à coup, habiter son regard. Je pense à un livre d’Alexandre Hollan, qui, toute sa vie a peint, dessiné, apprivoisé des arbres : je suis ce que je vois aux éditions Le temps qu’il fait.
Ou trouvez-vous votre inspiration ? Vous avez écrit tant et plus !
Avec Bernard Noël, j’ai eu la chance d’écrire un livre d’entretien paru chez P.O.L, intitulé : l’espace du poème. Il y a cette quête du lieu de l’écriture entre dedans et dehors. Au carrefour d’images mentales et de phrases que j’entends et qui débarquent dans ma vie. Ecrire un poème répond à une question qu’on n’avait pas posée me disait Karl Norac. Ecrire un poème ouvre un espace dans la langue qui laisse la langue nous parler autrement. J’ai besoin d’écrire, c’est comme jouer d’un instrument. Même souffle, même souplesse, entre la bouche et les doigts, l’esprit et le silence.
Qu’est-ce qui vous touche et vous effraye le plus dans la vie ?
Le désir du pouvoir.
Auriez-vous en quelques lignes poétiques un message pour tous ces gens qui souffrent, de solitude par exemple ?
Laissez toujours la lumière allumée dans une pièce de la maison. Parlez seul et à voix haute. Dormez sous une énorme couette mais fenêtre ouverte. Laissez la nuit entrer nue dans votre lit. Caressez votre chat en lui lisant des poèmes. Ou celui du voisin. Versez un café au facteur quand il passe vous livrer un colis. Donnez-lui des nouvelles de son âme. Prenez du temps avec le temps. Parlez-lui comme à un ami. Il le deviendra. Imaginez que mourir, c’est comme s’endormir en tenant la main de quelqu’un qu’on aime. Même absent.
Auriez-vous un texte à nous offrir pour nous mendiants et esclaves de la littérature ?
Lettre à la beauté
cloîtrée dans
nos regards
Je vous écris. Chaque jour qui passe, je vous écris.
Chaque matin, chaque nuit, je vous écris, à vous seule.
À chaque frisson de lumière.
Vous comprenez ?
À chaque éclosion de l’instant tombé en poussière
dans votre pollen. Réglant mon allure sur mes manques
mes maladresses, mon aveuglement.
Ma grande capacité à l’oubli.
Je ne sais rien sur votre existence
à part le mystère qui m’attache à vous.
J’écris à une tendresse qui n’existe pas, végétale
et suppliante, celle, transparente et invisible
à l’écoute, aux abois, dans l’attente inouïe du manque
patience assise et blottie contre moi sur la chaise
où je meurs à petits feux, âme des hautes herbes
brûlées par le soleil.
Par leurs aboiements, des chiens
crèvent la chaude haleine des rues
ce matin, et vous, d’un clignement de lumière
vous les faites taire dans la poussière d’un coma de paille
ventres affalés sur la fraîcheur des seuils en pierre bleue
abandonnés comme des comètes à leur animalité solaire
abattus, exténués de courses entre les ronces
vautrés contre le bois mouillé des granges
où ils lèchent leurs blessures.
Je bois votre ombre claire à perte de vue
dans ce pays Madame, où toute syllabe
ouvre le souffle au corps d’amour
à des furies déchirantes et faillibles
à des écumes de salive
au miel houblon des ruches.
Un poème glisse de votre poitrine vers la mienne
au centre du monde où j’ouvre les yeux.
Mes mains creusent votre lit avec tendresse
dans la page venteuse des forêts, foin des meules
inventent des enlacements, des étreintes insensées
et dans le déboulé des phrases, déposent ma chair
en verger sous le ventre d’une présence tremblée
comme la bouche des flammes.
Je vous écris ma fauve présence dévorant la dévoration
qui m’incline ici dans le boisé de votre neige, braconné
de l’intérieur par votre fougue de sel et de menthe
brûlé aux poignets, aux mains, puis au contact
de ma paume sur le papier par tout ce que vous dites
tout ce que vous ne dites pas
incantation glissée sur mon palais
qui ronge mes liens, dénoue ma langue vers vous
dans le remugle de chair rose, sexe ouvert mot à mot
au tremblement de ma dextre contre le papier
enrobant ma langue au fourreau de vos cuisses
salivant dans la rosée de votre blessure
bouche à bouche avec votre creux mouillé
du jouir de l’ici sur mes lèvres.
Je vous écris et j’entre en vous, là où me glisser
me dissoudre règnent en fruits rouges sur le néant.
Je vous écris pour mordre l’étoile blanche de la page
lui faire soupirer la vastitude, dans le suintement
de ses bouffants et de ses rives
avalant mes sanglots comme des perles
des nacres tremblantes, giboulées
de chagrin oubliés.
Quelque chose près du souffle s’enroule
à tout ce qui passe.
Puis je crache ce moi d’aurore inquiétante et vague.
Un peu de corps
me revient en guise de chair pour la prairie
par le déboulé de mes enfances
à quatre pattes dans l’herbe.
Plus rien des frondaisons ne m’ignore
et je pense enfin à ce nous intime des avoines
et du colza.
Dominique Sampiero
Janvier 2023